Les sociétés détenant ou exploitant du foncier agricole seront prochainement soumises à un nouveau contrôle. Réunis en commission mixte paritaire (CMP) le 1er décembre, les députés et les sénateurs ont trouvé un accord sur la proposition de loi du député Jean-Bernard Sempastous. Même si les échanges ont été tendus selon l’élu de la majorité invité au congrès annuel des Safer le 2 décembre 2021 à Marseille, le texte de la CMP sera prochainement entériné par l’Assemblée nationale et le Sénat. Le vote en séance publique a eu lieu dans la soirée du 7 décembre 2021 pour le Sénat et celui à l’Assemblée nationale aura lieu le 13 décembres 2021.

« Cette loi est un pas inédit en Europe », Jean-Bernard Sempastous, député des Hautes-Pyrénées le 2 décembre. © A. Marcotte

1. Pourquoi cette loi ?

Les Safer réclament depuis plusieurs années une régulation du marché des parts sociales. Elles pointent du doigt une concentration excessive du foncier au sein de certaines sociétés contre laquelle ni l’Administration, ni elles-mêmes ne peuvent intervenir. Pour boucher ce trou dans la raquette, Jean-Bernard Sempastous avait déposé une proposition de loi pour lutter contre cet « accaparement » des terres. Une nécessité pour contribuer « à la souveraineté alimentaire de la France » et « à faciliter l’accès au foncier ». Le gouvernement aura trois ans pour remettre au Parlement un rapport sur son efficacité.

2. Qui sera contrôlé ?

Une personne physique ou morale qui prendrait le contrôle d’une société - plus de 40 % des droits de vote et qui détient ou qui détiendrait après l’opération des surfaces agricoles dépassant un « seuil d’agrandissement significatif » devra obtenir l’autorisation préa­lable du préfet du département. Ce seuil de déclenchement du contrôle sera compris entre 1,5 et 3 fois la surface agricole utile régionale moyenne fixée dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA). Les préfets de région le fixeront « par région naturelle ou par territoire présentant une cohérence en matière agricole ». Les arrêtés des préfets sonneront l’entrée en vigueur du nouveau contrôle. Ils devront être pris au plus tard le 1er novembre 2022.

Ceux qui ne respectent pas la loi risquent la nullité du transfert de parts et une amende pouvant aller jusqu’à 2 % du montant de la vente. Certaines cessions de parts sociales seront exemptées si elles sont réalisées à titre gratuit (donation ou succession) ou au profit de certaines personnes. C’est le cas des transferts de parts familiales jusqu’au quatrième degré (jusqu’aux cousins germains) et entre époux et partenaires de Pacs. En contrepartie, ces cessionnaires doivent s’engager à conserver les parts au moins neuf ans, ou à louer les terres à un fermier pendant la même durée. Une deuxième exception concerne les transferts entre associés qui ont participé aux travaux de l’exploitation et qui détiennent des parts depuis au moins neuf ans.

3. Quel rôle jouera la Safer ?

Ce seront aux Safer de recevoir et d’examiner les demandes d’autorisation de cession de parts au nom du préfet du département. C’est ce dernier qui se prononcera ensuite sur l’autorisation. Le député Jean-Bernard Sempastous assume cette délégation. Il a déjà eu l’occasion d’expliquer dans nos colonnes que l’État n’avait pas les moyens pour assurer cette instruction. Des frais de dossier seront dus par les demandeurs. Leur montant, qui sera fixé par le ministère de l’Agriculture, n’est pas encore connu.

Dès le dépôt de la loi, le rôle qu’elle confie aux Safer a suscité en particulier les critiques d’une association d’avocats (l’Anavor), du Conseil de l’expertise foncière agricole et de fédérations de propriétaires privés. Plus récemment, le 2 décembre 2021, les notaires des GIE Ruranot, Acterra et Jurisvin ont regretté, quant à eux, « le renforcement des pouvoirs de la Safer ». Ces dernières se défendent de leur côté en rappelant qu’elles demeurent sous le contrôle et la tutelle de l’État.

4. En quoi consiste la compensation ?

Si le préfet refuse l’autorisation de cession des parts en cas de concentration de foncier jugée excessive, la société ou le cessionnaire pourront lui proposer, en compensation, de libérer une partie de leurs terres. Ils pourront ainsi s’engager à vendre ou à louer au titre d’un bail rural à long terme, du foncier à un agriculteur bénéficiant des aides à l’installation ou à un agriculteur ayant besoin de consolider une surface lui permettant d’atteindre le seuil de viabilité économique fixé par le SDREA.

Résilier un bail sera aussi possible, si le propriétaire des biens s’engage à vendre ou à louer les terres dans les mêmes conditions. Dans tous les cas, la Safer émettra un avis sur le schéma proposé et pourra exercer son droit de préemption en cas de vente à un prix jugé exagéré.

Ce petit marché pourra être réalisé à l’amiable si la société ou le cessionnaire ont un candidat à proposer, ou avec le concours de la Safer qui recherchera un repreneur. Le préfet pourra ensuite confirmer son refus, accepter la compensation ou demander à la société ou le cessionnaire de revoir leur copie. Un schéma qui promet, dans nos campagnes, bon nombre de tractations.

Alexis Marcotte