La façon de produire, en Europe, a des répercussions bien au-delà de ses frontières. Pour en témoigner, la plate-forme Coordination Sud, regroupant plusieurs ONG de solidarité internationale, organisait le 11 avril un séminaire sur l’impact de la Pac sur l’agriculture des pays du Sud.

Du lait local en Afrique ?

En Afrique de l’Ouest, par exemple. Une région du monde qui « a le potentiel pour produire du lait, mais la filière n’arrive pas à se développer, témoignait Hintadou Amadou, coordinatrice de la campagne “Mon lait est local”. » Si elle reconnaît que la filière a de gros besoins d‘ accompagnement, notamment pour la production de références, c’est d’abord la concurrence déloyale exercée par les exportations européennes qu’elle pointe du doigt.

 

« La quasi-totalité du lait transformé en Afrique de l’Ouest est importé car il revient 30 à 50 % moins cher que le lait local : on ne peut pas faire face ! » Difficile, en effet, de rivaliser avec de la poudre de lait écrémé réengraissée avec des matières grasses végétales, qui coûtent huit à dix fois moins cher que les matières grasses animales, selon le Gret. « Cette poudre de lait réengraissé constitue l’essentiel des importations en provenance de l’Union européenne, et le consommateur croit généralement qu’il s’agit de poudre de lait entier », dénonce encore Hintadou.

Régler les problèmes au lieu de les exporter

Étant donné le peu de valeur de la poudre de lait écrémé venant d’Europe, et le différentiel de prix entre la matière grasse animale et végétale, les industries agroalimentaires peuvent faire de « gros profits » tout en pratiquant ce « dumping », dénonce Laurent Levard, ingénieur agronome au Gret (Organisation de développement international).

 

En résonance avec la campagne « N’exportons pas nos problèmes » menée par quelques ONG dont Agronomes et vétérinaires sans frontières, la plate-forme Coordination Sud juge « indispensable qu’il y ait une gestion de la production laitière sur le marché européen pour éviter un effondrement des prix, insiste l’agronome. Et il nous paraît juste, pour éviter le dumping, que les produits qui ont bénéficié de subventions soient taxés en conséquence à l’exportation. »

La « République du soja »

Autre point noir mis en avant par Coordination Sud : les importations de tourteaux de soja pour l’élevage européen. « Elles ont fortement augmenté depuis 50 ans, même s’il y a une légère stagnation ces dernières années », rappelait Laurent Levard. Des importations provenant essentiellement de cette région de l’Amérique du Sud connue comme la « République unie du soja », qui inclut le nord de l’Argentine, le sud du Brésil, une grande partie de l’Uruguay et du Paraguay et un bout de la Bolivie, présentait Marielle Palau, chercheuse au centre de recherches sociales du Paraguay.

La guerre des terres

L’extension des surfaces en soja dans ces pays ne se fait pas qu’au détriment de la forêt. Certes, celle-ci aurait cédé près de 30 Mha en dix ans à l’agriculture sur le continent sud-américain, selon la FAO. Et le Paraguay serait passé au second rang mondial sur le rythme de déforestation, derrière la Malaisie… « Mais le soja empiète aussi sur les territoires des paysans et des communautés indiennes, souligne Marielle Palau. On estime que 200 000 personnes ont été déplacées de ce fait en Argentine, tandis que le Paraguay a vu sa population rurale passer de 50 % en 1992 à 33 % en 2012. Parallèlement, les terres se concentrent aux mains de quelques grands propriétaires : en Uruguay, 1 % des fermes font 35 % de la production. Au Paraguay, 2,5 % de propriétaires détiennent 80 % des terres. »

 

S’ensuit logiquement une diminution des surfaces affectées à l’agriculture vivrière, donc de l’autonomie alimentaire des populations, soulignait encore la chercheuse. Qui pointait aussi une hausse de la fréquence des cancers dans les zones de monoculture intensive (généralement OGM) de soja : 397 cas sur 10 000 en Argentine, dans les zones concernées, contre 212 en moyenne nationale.

Réduire la dépendance au soja importé

Le Gret et Coordination Sud, là encore, formulent leurs recommandations pour la future Pac. « Pour réduire la dépendance au soja importé, il faudra réorienter les soutiens de la Pac vers les systèmes intégrant des légumineuses et ceux visant une autonomie fourragère, propose Laurent Levard, mais cela ne suffira pas si l’on ne protège pas en même temps le marché européen via des taxes sur les importations. » Il suggère aussi de déclarer que les aliments produits à base d’OGM sont interdits dans l’Union européenne. Il reste que la Pac ne peut pas tout : en matière de développement international, la politique commerciale de l’Union européenne n’est pas exempte de responsabilités…