« Nous disons merci à celles qui nous ont précédées, s’enthousiasme Emeline Lafon, éleveuse de lapins dans le Gers et présidente de sa coopérative. Elles ont été des combattantes, et nous facilitent aujourd’hui la vie. Je mène ma carrière sans entrave », constate cette ancienne présidente des JA du Gers. Les autres jeunes femmes, présentes à la tribune, n’ont pas non plus manqué de remercier les agricultrices qui, depuis 40 ans, ont fait évoluer, à pas comptés, le statut des agricultrices jusqu’à disposer d’un éventail complet, entre conjoint collaborateur et chef d’exploitation.

Il reste cependant des points noirs. Et Jacqueline Cottier, présidente de la commission nationale des agricultrices de la FNSEA, déplore que plus de 5 000 femmes travaillent encore dans les fermes sans aucun statut. « Disons les mots qui fâchent : c’est comme un travail au noir, sans droits pour la retraite, avec de gros soucis en cas de veuvage, de divorce, d’accident ». Quant aux congés maternité, selon Jacqueline Cottier, « seules 55 % des agricultrices qui accouchent, profitent de ce droit ».

Renoncement

Dans son message écrit à l’assemblée, Stéphane Le Foll souligne que les agricultrices étaient les premières bénéficiaires de la revalorisation des retraites. On peut s’en réjouir ou s’étrangler comme Catherine Caille de la Coordination rurale qui rappelle que « les retraites des épouses à 500 € sont un vrai scandale ! »

« Nous avons avancé sur nos droits », souligne Catherine Faivre-Pierret, éleveuse dans le Doubs. Avec ses amies agricultrices, elle a réussi à convaincre les élus départementaux de se mobiliser pour imposer le Gaec entre époux (Il a été autorisé en 2010). « Mais cela me révolte de voir des agricultrices qui renoncent à leur statut pour économiser des cotisations à la MSA parce que l’on est en crise. Ou qui cherchent un autre emploi à l’extérieur pour payer les factures. »

Sauts d’obstacle

Autres anomalies : la méfiance des banquiers qui prêtent moins de capital aux femmes et sur une durée plus longue ! Les agricultrices sont moins souvent propriétaires du foncier car elles héritent moins. Sabrina Dahache, sociologue, avance le chiffre de 13 % d’héritières contre 83 % d’héritiers. Et ce n’est pas dû au hasard mais au regard porté par les familles qui favorisent en règle générale la succession des fils. Comme en témoignait Ghislaine Dépeuble, jeune viticultrice aujourd’hui co-exploitante avec son frère après avoir patienté comme salariée pendant 10 ans.

Heureuse productrice de Beaujolais au pays des pierres dorées, elle souligne la misogynie qui a ralenti son parcours : le refus de la Safer de lui confier des hectares au motif qu’elle n’avait pas encore son diplôme agricole, obtenu huit jours plus tard avec mention ; ou encore le statut de salarié qu’elle a dû accepter, ses oncles lui refusant le statut de co-exploitante. Aujourd’hui elle mène son domaine avec son frère. Et a investi dans l’oenotourisme.

La diversification… Et le reste

En règle générale, les femmes s’installent sur de plus petites surfaces (inférieures de 45 %) que les hommes. Mais feraient contre mauvaise fortune bon cœur. Comme le soulignent les intervenantes : « nous, ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les hectares et le chiffre d’affaires, mais le résultat ». Ce serait « naturellement » selon les dires de Gérard Larcher que les femmes s’intéressent davantage au tourisme, à l’accueil, à la diversification.

Les chiffres le prouvent d’ailleurs : quand une ferme diversifie, il y a la plupart du temps une femme présente. Et les témoignages ce mercredi ne manquaient pas. Au point d’agacer un peu l’explosive Nathalie Marchand, éleveuse de porcs en Bretagne et présidente d’« agriculture au féminin ». Elle rectifiait : « c’est très bien la diversification. Mais ne cantonnons pas les femmes à leurs soi-disant penchants naturels. Elles sont aussi à la production, techniciennes, préoccupées des questions environnementales. Il faut les aider à monter en compétence sur ces sujets aussi. »

La loi encore…

Les femmes ont une formation initiale plus élevée que les hommes en général mais moins en technique agricole. Elles représentent la moitié des effectifs de lycée agricole mais seulement un tiers des filières de production. Or elles profitent ensuite moins des formations financées par Vivea.

Rendre vivable le métier pour les femmes, c’est faciliter leur vie quotidienne avec des places en crèche à proximité, des services de remplacement accessible quand elles vont en formation quand elles s’engagent, quand elles accouchent. Le projet d’installation des femmes c’est souvent un projet de vie qui mêle intimement travail, famille et engagement dans les associations locales.

Les femmes aujourd’hui accèdent davantage aux responsabilités professionnelles. Mais cela reste insuffisant, faute de temps, faute de remplacement parfois. Et aussi parce qu’il faut bousculer les hommes, les conjoints mais aussi les élus pour qu’ils laissent un peu de leur place. « Heureusement que la loi oblige à laisser un tiers de sièges », commente Emeline Lafon, l’éleveuse de lapin qui est aussi membre de la chambre d’agriculture du Gers.

À leur place

Sarah Bourtembourg, éleveuse de chevaux sur une ferme pédagogique est membre de la chambre d’agriculture des Ardennes. Elle donne des pistes à méditer : « nous avons monté un projet « femmes et hommes » avec des actions issues d’une enquête auprès des exploitations. Nous avons programmé sept actions : « trucs et astuces des femmes, trucs et astuces des hommes pour faciliter le travail ; bien dans sa peau, bien dans ses bottes ; communiquer sur son métier ; argumentaires positifs sur notre métier ; agricultrices et citoyennes ; chiffres clés sur l’exploitation ; du projet de vie au projet professionnel ; réussir à deux dans le métier. Parce que pour nous les élus, l’avenir du métier passe par les agricultrices. »

Tout un programme ces pistes qui demandent moins d’argent qu’une réelle volonté de dépasser les mots. Car toutes l’ont dit : « c’est bien cette journée. Mais nous sommes face à des élus en fin de mandat. On veut des actes ». Sur le Sénat un vent décoiffant souffle, plein de dynamisme et d’enthousiasme. Mais aussi la fraîche bise de la crise. « Attention à faire une place aux femmes, conclut Nathalie Marchand. Sans paysannes, nos territoires mourraient. »

Marie Gabrielle Miossec