Cette année, un cap a été franchi dans la pression qui s’exerce sur les agriculteurs au sujet de l’utilisation des produits phytosanitaires, avec une série d’agressions (lire pp. 42-43). Certes, quelques rares produits de biocontrôle efficaces commencent à arriver sur le marché. Ils peuvent, comme pour le soufre sur la septoriose du blé, donner de bons résultats, parfois comparables à des solutions conventionnelles. « La grosse différence, c’est qu’il faut quatre applications contre deux, voire une en conventionnel pour obtenir le même résultat, précise Claude Maumené, chargé de mission biocontrôle chez Arvalis. Or, la charge morale actuelle liée à l’utilisation entraîne un problème important d’acceptabilité des traitements sur le terrain. Vu de la route, le biocontrôle ne se distinge pas du conventionnel ! » Une réflexion valable pour le bio, pourtant fortement plébiscité par les consommateurs.
Menace de la surviede l’exploitation
Ce contexte s’accompagne de restrictions d’emploi des produits, qui complexifient la protection des cultures, d’autant qu’il existe rarement d’alternatives disponibles. Les dérogations de cent vingt jours sont devenues quasiment inexistantes. Ces derniers temps, la réglementation se fait de plus en plus complexe : mélanges de spécialités parfois impossibles, recours à des herbicides souvent interdits sur sols drainés… Si à l’échelle européenne de nombreuses molécules sont retirées (chlorothalonil, chlorpyrifos-méthyl…), les suppressions d’AMM (autorisations de mise sur le marché) deviennent également monnaie courante au niveau national. La justice a ainsi ordonné le retrait du Roundup 360 Pro (à base de glyphosate) en début d’année et, depuis peu, confirmé celui des deux insecticides à base de sulfoxaflor, Closer et Transform. Dernièrement, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a retiré les AMM de trente-six spécialités à base de glyphosate (utilisables jusqu’au 29 novembre 2020). Elles représentaient, l’année dernière, environ les trois quarts des tonnages en France.
Meilleure protectiondes abeilles
À ce sujet, le ministère a précisé que le plan Ecophyto, désormais dans sa version II +, allait apporter « une nouvelle impulsion pour […] sortir du glyphosate d’ici fin 2020. » Le but affiché est de s’affranchir des principaux usages à cette date et, au plus tard, d’ici 2022 pour le reste. La mission d’information parlementaire sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate a toutefois rendu, mi-novembre, un rapport intermédiaire qui estime de 2 à 3 milliards d’euros, d’ici au 1er janvier 2021, le coût de cette décision pour les filières des grandes cultures. Elle a, en conséquence, demandé que l’Inra et les instituts techniques agricoles précisent, au plus tard mi-2020, « les situations (culturales et pédoclimatiques) qui ne pourront supporter un arrêt du glyphosate dès le 1er janvier 2021 sans menacer la survie de l’exploitation, ni son environnement. De même pour les échéances, qu’il faut raisonnablement envisager pour préparer la sortie définitive, avec […] une révision annuelle des critères de dérogation (situations et délais). »
Pourtant nous avons déjà vu, dans le cas des néonicotinoïdes, qu’un nombre assez conséquent d’usages est resté dans l’impasse. Au bout du compte, seules trois dérogations ont été accordées. Alors que les retraits ont eu lieu au début du mois de septembre 2018, ce n’est que mi-mai 2019 qu’un arrêté a précisé que l’emploi de l’acétamipride, hors période de floraison, pourrait avoir lieu jusqu’en juillet 2020 pour lutter contre le balanin de la noisette, les mouches du figuier et les pucerons du navet. De quoi s’inquiéter pour l’avenir sans glyphosate...
Début mai, le conseil d’État a, par ailleurs, annulé partiellement l’arrêté de mai 2017 (sur les conditions d’utilisation des pesticides), à la suite de recours juridiques d’associations environnementales. Parmi les points à reprendre dans le nouvel arrêté dans un délai de six mois, arrive en bonne place l’absence de protection des riverains des zones traitées (lire p. 44).
Mais d’autres projets, comme la refonte de la réglementation relative à la protection des abeilles, qui date de 2003, pourraient aussi être très impactants. Dans son avis du 5 février, l’Anses propose d’élargir le dispositif actuel à l’ensemble des produits phytosanitaires appliqués en pulvérisation pendant les périodes de floraison et/ou de production d’exsudats. Elle ajoute à cela l’interdiction d’employer des substances systémiques en pulvérisation avant la floraison ou en traitements de semences. L’Agence recommande également de s’appuyer sur le guide de l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) datant de 2013. Celui-ci permet, notamment, de mieux évaluer les risques, à long terme, pour les abeilles ainsi que pour les autres pollinisateurs.
Céline Fricotté