Rassemblements historiques aux Pays-Bas, mobilisations des agriculteurs en Allemagne, volonté des syndicats belges de se regrouper pour faire entendrele mécontentement de la profession… Chez nos voisins européens, comme icien France, la coupe est pleine et les raisons de la colère sont les mêmes.
La FNSEA et JA ont appelé les membres de leur réseau à se rassembler devant toutes les préfectures de France, le mardi 22 octobre dernier. Les agriculteurs ont répondu présents (lire p. 19). Un événement qui est intervenu trois semaines après une première mobilisation qui avait regroupé, le 8 octobre, près de 10 000 exploitants.
Agribashing, revenus en berne, réglementation toujours plus stricte, accords commerciaux déloyaux… Les maux dont souffre la profession ne concernent pas uniquement les agriculteurs français. Leurs voisins européens sont, eux aussi, dans la tourmente et ont décidé, à leur tour, d’exprimer leur ras-le-bol.
20 000 tracteurs à La Haye
Actions d’éclat au niveau régional, rassemblement national d’ampleur, les agriculteurs néerlandais ne décolèrent pas. Point d’orgue de ces protestations contre la politique du gouvernement, quelque 20 000 à 25 000 agriculteurs battaient de nouveau le pavé à La Haye, mercredi 16 octobre, pour se faire entendre. À cette occasion, des milliers de tracteurs ont congestionné les artères du royaume, occasionnant 450 kilomètres d’embouteillage, avant de rejoindre le centre-ville de la capitale administrative des Pays-Bas. La manifestation du 1er octobre avait, quant à elle, provoqué un bouchon de 1 200 kilomètres, le plus gros jamais enregistré dans le pays.
Contrairement aux actions dans les provinces, émaillées pour certaines par des actes de violence, le rassemblement national à La Haye s’est déroulé dans le calme. L’armée avait été appelée à la rescousse pour assurer la protection des bâtiments gouvernementaux situés à proximité. Organisées en marge des syndicats agricoles, ces actions « coup de poing » sont l’œuvre de collectifs de défense comme Agractie et Farmers defence force. La principale revendication des exploitants porte sur l’adoption de normes environnementales restreignant les émissions d’azote, et qui font craindre une réduction drastique des cheptels bovins et porcins.
Des mesures restrictives pour les éleveurs
Les agriculteurs battent en brèche les conclusions d’une enquête de l’Institut national pour la santé publique et l’environnement (RIVM), que le gouvernement a d’emblée repris à son compte. Celui-ci a immédiatement imposé aux provinces d’appliquer des mesures restrictives aux éleveurs.
Selon le RIVM, les exploitants néerlandais seraient responsables de 46 % des émissions d’azote du royaume. Reste que nombre de partis politiques estiment que les calculs de l’institut manquent de fondement.
De leur côté, les agriculteurs néerlandais pointent des normes différentes en Allemagne, qui s’avèrent moins préjudiciables aux éleveurs. Le ministère de l’Agriculture néerlandais s’est donné six semaines pour revoir ses positions. Un débat est prévu prochainement au Parlement. En attendant, les manifestations se poursuivent aux quatre coins du pays.
Les agriculteurs allemands dans la rue
En Allemagne aussi, les tracteurs étaient de sortie. Les rues de Berlin et de Bonn [où se trouve le ministère fédéral de l’Agriculture, NDLR] ont vu défiler des centaines de tracteurs le 22 octobre 2019. D’autres opérations escargots de plusieurs milliers d’agriculteurs ont également eu lieu dans les régions Bavière, Basse Saxe et Schleswig-Holstein. Dans le viseur des protestataires : la déconsidération de la profession, le risque de voir disparaître les petites exploitations, l’interdiction à venir du glyphosate ou encore les accords de libre-échange.
Cette journée de manifestation n’était pas à l’initiative de syndicats agricoles mais d’un groupe d’agriculteurs baptisé « La terre crée des liens », dont le groupe Facebook fermé rassemble aujourd’hui quelque 16 000 personnes. Le ras-le-bol des agriculteurs est allé crescendo au cours des dernières semaines.
Interdiction du glyphosate en 2024
Le mécontentement a essaimé à partir du 4 septembre dernier. Ce jour-là, le gouvernement allemand a adopté son paquet agricole, avec notamment un plan de protection des insectes, interdisant le glyphosate à partir de 2024. Un énième défi sans compensation financière pour les agriculteurs, après les nouvelles règles d’épandage ou les mesures climatiques, acceptées sans résistance par le principal syndicat agricole DBV.
La moutarde est alors montée au nez de Willi Kremer-Schillings, un agriculteur rhénan. Peu porté sur les opérations escargot et les brasiers de pneus, le cultivateur, à la tête de 40 ha, a décidé de réagir à sa manière : en érigeant une croix verte dans son champ et en publiant une photo de cette protestation silencieuse sur son blog « Bauer Willi », dédié aux questions agricoles. « L’écho a été énorme. Les gens ont copié l’idée. » Le chiffre de 20 000 croix vertes est avancé.
L’idée a été soulevée de nommer les manifestations du 22 octobre « la croisade verte ». Une proposition qui ne réjouissait pas Willi Kremer-Schillings. Ce dernier craignait des retombées négatives pour le mouvement en cas d’échauffourées. « Nous voulons ouvrir un dialogue. » Pendant que des milliers de personnes défilaient à Bonn, et dans quelques autres villes du nord-ouest de l’Allemagne, « Bauer Willi » poursuivait ses rencontres politiques à Berlin. Après des contacts avec les Verts et des ONG, il s’est entretenu avec la ministre fédérale de l’Agriculture, Julia Klöckner.
Vers une action commune de tous les syndicats belges
Le 16 septembre dernier, les agriculteurs wallons donnaient le ton. Environ 500 tracteurs se rassemblaient sur le site où avaient été déversés 3 millions de litres de lait dix ans plus tôt (voir La France agricole n° 3821, p. 22). Prochaine étape : une manifestation rassemblant tous les syndicats agricoles du pays. « Ce qui nous semble important, c’est de nous mobiliser pour le budget européen, analyse Marianne Streel, présidente de la Fédération wallonne de l’agriculture. Dès que la Commission européenne sera en place, il faudra discuter du sort de la politique agricole dans ce budget. La Pac a été construite pour fournir un prix abordable aux consommateurs. Mais pas pour offrir un revenu équitable aux agriculteurs. » Quelle forme prendra la manifestation ? Les discussions sont en cours entre les syndicats wallons et flamands. « Je suis pour la mobilisation et j’aime dialoguer. On ne fera pas de choses violentes. Il faut avoir des actions de valorisation des agriculteurs. »
Du côté du MIG, représentant les producteurs laitiers, Guy Francq, le président, est décidé à s’investir. « On ira manifester à Bruxelles lors de l’installation de la Commission. Il est grand temps qu’on se bouge, sinon on va droit dans le mur. C’est pareil pour toutes les productions agricoles. »
Avec peut-être la possibilité d’élargir la manifestation aux agriculteurs européens, notamment au travers du réseau de l’EMB (European Milk Board).