La réforme de l’assurance récolte et du fonds national de gestion des risques, ex-fonds des calamités, est sur les rails. Le président de la République s’y est engagé le 10 septembre, à Corbières, lors de sa venue au festival Terres de Jim organisé par JA (lire aussi p. 18). Elle sera présentée en détail par le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, en décembre, et aboutira avant la fin de sa mandature pour entrer en vigueur en 2023, a promis le chef de l’État.

Emmanuel Macron a tranché pour une refonte totale du système de gestion des risques actuel, en s’appuyant sur le rapport rendu par le député Frédéric Descrozaille, en juillet, dans le cadre du Varenne de l’eau. « Il s’agit de créer un régime universel d’indemnisation du risque climatique » pour tous les agriculteurs, explique l’Élysée. L’assurance récolte, rendue plus « attractive », et la solidarité nationale seront complémentaires. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Une enveloppe de 600 millions d’euros par an, en moyenne, issue de fonds d’État et européens, permettra de financer le système de solidarité nationale et de subventionner en partie les assurances.

Une fusée à trois étages

Les agriculteurs devront assumer eux-mêmes les aléas de « faible intensité ». Les aléas d’intensité « moyenne » seront pris en charge par l’assurance multirisque climatique (MRC), et les événements dits « exceptionnels » seront couverts par l’État. La solidarité nationale sera accessible pour tous, a insisté Emmanuel Macron, mais, attention, pas au même niveau d’indemnisation. En prenant comme exemple un seuil de déclenchement de la solidarité nationale de 50 % (comme proposé pour les grandes cultures dans le rapport Descrozaille), l’indemnisation d’un agriculeur non assuré sera égale à la moitié de ses pertes au-delà de 50 %, contre 100 % des pertes déduction faite de la franchise pour un assuré.

Cette réforme, c’est un engagement fort du président de la République, selon les deux principaux assureurs du secteur agricole, Groupama et Pacifica. « C’est vraiment très important d’avoir pris cette décision à la sortie d’une crise comme celle que nous avons vécue avec le gel d’avril, souligne Pascal Viné, directeur relations institutionnelles et orientations mutualistes à Groupama. Elle a frappé les esprits. Il n’était pas possible de laisser les agriculteurs sans solution et sans perspectives, alors que le dispositif actuel de gestion des risques a montré ses limites et a été fortement perturbé. »

Jean-Michel Geeraert, directeur du marché de l’agriculture à Pacifica, estime que « la mise en œuvre d’un dispositif de protection des risques extrêmes pour tous les agriculteurs est une bonne chose. C’est un premier pas pour une agriculture mieux sécurisée face aux conséquences du changement climatique. Ce modèle de partenariat public-privé permettra une meilleure articulation entre les risques extrêmes et les garanties assurantielles. »

Un guichet unique

Les deux assureurs sont conscients qu’ils vont devoir être au rendez-vous ! D’autant qu’ils seront probablement les interlocuteurs uniques des agriculteurs lorsqu’un aléa climatique surviendra. « L’agriculteur, assuré ou non, pourra ainsi s’adresser à un seul interlocuteur, quel que soit son niveau de pertes. Les assureurs détermineront, pour le compte des pouvoirs publics, le niveau des pertes avec le même principe d’évaluation, qu’il s’agisse de risques extrêmes ou de risques intermédiaires. La prise en charge de l’indemnisation sera ensuite repartie entre les pouvoirs publics, selon le niveau des pertes constatées », détaille Jean-Michel Geeraert. Ce sera transparent pour l’exploitant. Emmanuel Macron a insisté sur la mise en place de ce guichet unique pour simplifier le système. Il veut de la « réactivité », déplorant les délais d’indemnisation du fonds des calamités beaucoup trop longs. « Nous sommes confiants. On va se mettre au travail, pour être prêts. Le but c’est de mettre en place cette réforme en 2023. Les assureurs ont fait la preuve de leur réactivité. Il va falloir travailler à cette nouvelle organisation et il faut s’y mettre tout de suite », prévient Pascal Viné. Pacifica reconnaît, de son côté, que le calendrier de mise en œuvre pour 2023 est « très ambitieux ».

Un autre sujet mis en avant par le président de la République est la création d’un pool d’assureurs, auquel tous ceux qui souhaiteront commercialiser des assurances MRC devront adhérer. Il devrait permettre une plus grande mutualisation des risques et une coordination renforcée entre les assureurs.

Encore des incertitudes

Mais la réforme n’en est qu’à ses prémices. Cinq paramètres, et non des moindres, doivent encore être arrêtés, comme le souligne Frédéric Descrozaille, qui sera le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale : le seuil de déclenchement et la franchise de base (qui pourraient passer de 30 à 25 ou 20 %), le taux de subvention des contrats d’assurance (qui pourrait passer de 65 à 70 %), le seuil d’intervention et le taux d’indemnisation de l’État pour les aléas exceptionnels. Tous ces critères doivent être déterminés filière par filière. Le rapport Descrozaille propose, par exemple, que la solidarité nationale s’applique à partir d’un taux de perte de 50 % en grandes cultures, et de 30 % en prairie et arboriculture. Ces seuils pourraient augmenter dans les années à venir, notamment si le nombre d’agriculteurs souscrivant une assurance MRC progresse.

Pour le choix des seuils, le député veut s’appuyer sur les organisations professionnelles : « Ils ne seront pas forcément les mêmes dans toutes les filières, car il faut tenir compte des disparités (part d’agriculteurs assurés et éligibilité aux fonds des calamités). Il faudra écouter la profession agricole dans ce qu’elle recommande. Ceux qui feront le travail sur le terrain, de conviction, d’information, de sensibilisation, ce sont les réseaux agricoles. » C’est un chantier assez dense, estime le député. En prenant l’engagement d’aboutir pour 2023, le Président a sans doute fait franchir un cap décisif à la réforme du système de gestion des risques, mais le plus dur reste à faire pour les organisations professionnelles : convaincre leurs adhérents de s’assurer. Marie Salset