Si vous doutiez encore de la valeur de vos données agricoles, les géants d’internet, eux, ont compris qu’elles étaient l’or noir du XXIe siècle. Pour preuve, les Gafami (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et IBM) et leurs homologues chinois classent l’agriculture parmi leurs priorités, avec la santé et la ville intelligente. Ils commencent seulement à mettre la main sur les données agricoles et pourtant, ils connaissent déjà votre exploitation.

Formations chez Google

Google est celui qui en sait le plus sur vous, en particulier si vous utilisez un smartphone Androïd. Avec Maps, Youtube, Waze et son moteur de recherche, il n’ignore rien de vos déplacements et de vos goûts. Mais l’américain va plus loin en proposant des formations aux agriculteurs qui font de la vente directe. Intitulée Google Agri, une première session a eu lieu en Bretagne en octobre dernier, en partenariat avec la chambre d’agriculture. Les participants y ont acquis les clés pour faire référencer correctement leur site sur Google, produire des vidéos sur YouTube, créer un compte Gmail et bénéficier d’un accompagnement personnalisé. D’autres ateliers « d’évangélisation » devraient être organisés prochainement.

De son côté, Amazon, le leader du commerce en ligne, table sur les alliances pour s’installer dans le secteur agricole et récupérer les données des exploitations. Le premier à avoir signé est Prince de Bretagne, qui propose désormais les paniers de certains de ses adhérents sur la plate-forme Amazon.

Chez Facebook, les groupes d’intérêt permettent de qualifier les bases de données avec les profils des exploitants. Le réseau social récupère également des millions de photos, notamment avec sa filiale Instagram.

Nombreux partenariats

Au sein de Microsoft, l’entrée dans la sphère agricole passe par un partenariat signé avec InVivo fin 2018. Le groupe coopératif a ainsi intégré le projet « Innovation pour l’intelligence artificielle » du géant américain. Carlo Purassanta, le patron de Microsoft France, rappelle d’ailleurs que l’Hexagone « fait partie de cinq-six pays, dont les États-Unis et les nations scandinaves, dans lesquels nous allons investir le plus pour appuyer le développement de la high-tech agricole ». Smag, la branche­ informatique d’InVivo, a intégré le showroom de Microsoft.

IBM tisse sa toile

Mais celui qui avance le plus rapidement, c’est IBM. Avec le rachat de la société de météo The Weather Company, déjà utilisée sur plusieurs applications agricoles françaises, la plate-forme de télédétection Geoscope, la solution d’intelligence artificielle (IA) Watson et le dispositif de gestion des rappels pour l’agroalimentaire Food Trust, le spécialiste de l’informatique d’entreprise tisse sa toile. L’aide à l’infrastructure est aussi une solution pour accéder aux données. Ainsi, en leur proposant un accès gratuit à leurs clouds (stockage en ligne), Amazon, IBM et Microsoft attirent les start-up comme Copeeks ou Karnott dans leurs filets. De son côté, le chinois Alibaba a noué un partenariat avec Bayer pour la blockchain.

l’enjeu de l’iA

Avec ces montagnes d’informations, les Gafa disposent d’une avance importante dans le développement de solutions d’IA. « Pour créer les modèles d’IA et de machine learning, il faut “gaver” les serveurs avec des millions de données, précise Marion Carrier, de CybeleTech, une entreprise spécialisée dans le développement de modèles numériques pour les grandes cultures. Celui qui possède le plus d’informations est théoriquement en mesure de développer la solution d’IA la plus performante. » Le risque, c’est que les moyens mis en œuvre pour aider les exploitants français à optimiser leurs fermes soient aux mains de puissances étrangères aux intérêts parfois divergents, en particulier les États-Unis et la Chine. Xavier Reboud, chercheur à l’Inra de Dijon, insiste sur ce point : « Les gains de productivité réalisés grâce à l’IA devront profiter aux agriculteurs et non pas être absorbés par la baisse des prix. D’où l’importance d’avoir des modèles pensés avec l’intérêt des producteurs européens en tête. » Il est temps de se réveiller.

Corinne Le Gall