Après les OGM, voici venues les NBT ou « New Breeding Techniques » (nouvelles techniques de sélection) utilisées de plus en plus dans les laboratoires de recherche agronomique. Et elles suscitent les mêmes débats passionnés.

Dernière action en date, l’occupation le 20 mai dans la Drôme, des locaux de Vilmorin-Limagrain par la Confédération paysanne et les « faucheurs volontaires ». Les militants entendaient dénoncer ces nouvelles techniques qu’ils considèrent comme des « OGM cachés. » Ils souhaitent donc que les semences obtenues via les NBT tombent sous le coup de la directive européenne 2001/18 qui réglemente les plantes transgéniques (1) . Ce qui équivaudrait, de fait, à leur interdiction pure et simple en Europe. Une option refusée en bloc par les semenciers. Les plus grosses entreprises du secteur investissent, en effet, dans ces techniques, stratégiques pour elles. Mais « ne pas savoir dans quel cadre réglementaire on avance, c’est compliqué », juge Raphaël Dumain, responsable Recherche et Développement chez Bayer CropScience.

Alors que recouvrent exactement ces NBT ? Il s’agit de différentes techniques de modification génétique aux noms quelque peu barbares : mutagénèse dirigée par oligonucléotides, cisgénèse, génomique de synthèse ou encore sélection inverse. Mais celle qui fait parler le plus parler d’elle actuellement, c’est sans conteste Crispr-Cas9. Et pour cause : précise, efficace, peu chère et simple d’utilisation, la plus récente et la plus performante à ce jour des techniques d’édition du génome (lire enc. p.19) est en passe selon certains, de révolutionner la médecine mais aussi la sélection végétale.

Chirurgie des génomes

« C’est une rupture technique considérable », confirme Christian Huygue, directeur scientifique adjoint de l’Inra. Même engouement du côté de Jean-Yves Le Déaut, président de l’OPESCT (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques) qui organisait, en avril dernier, une audition sur les enjeux de ces « outils de chirurgie des génomes. » Pour David Gouache, responsable de la valorisation des biotechnologies chez Arvalis, le blé est l’espèce qui pourrait bénéficier le plus de ces technologies-là, de par sa biologie complexe : il possède, en effet, trois génomes, ce qui constitue un frein à l’amélioration variétale. Un frein qui pourrait être levé grâce aux techniques de retouche génétique.

Le blé résistant à l’oïdium obtenu par des chercheurs chinois et commercialisé par la société américaine Calyxt est un exemple de ce qui peut émerger à l’avenir. Dupont a, lui, annoncé récemment son intention de commercialiser les premières semences de maïs waxy bénéficiant de la technologie Crispr-Cas d’ici cinq ans. Des pommes dénommées Artic Apple ont aussi été mises au point : leur chair ne brunit pas car un gène responsable de l’expression de la polyphenol-oxydase a été rendu silencieux.

Le potentiel d’innovation offert par le « gene editing » est donc très vaste : résistance aux bioagresseurs, à la sécheresse, meilleure efficience de l’azote, hausse du rendement et de la qualité… Toutes les espèces sont concernées, même mineures. Cela n’a pas été le cas avec les OGM, beaucoup plus chers à produire. Ainsi en trente ans, seules la résistance aux herbicides et la résistance aux insectes ont été proposées car les plus rentables.

« Cette bataille sur les techniques d’édition du génome est plus importante que celle des OGM, juge David Gouache. La distorsion de concurrence entre l’Europe et les États-Unis prêts à s’y mettre sans les réglementer comme des OGM, sera encore plus grande. » Christian Huyghe met un autre élément en avant : « le rejet des OGM vient aussi du fait qu’ils sont portés par de grosses entreprises. Or, avec Crispr-Cas, même les petites entreprises peuvent y avoir accès donc le rejet d’un certain modèle monopolistique n’a plus de raison d’être. »

Reste que la position des anti-NBT est claire : « Tout comme la transgenèse, ces nouvelles techniques produisent des OGM, présentent des risques sanitaires, environnementaux et socio-économiques et posent de nouveaux problèmes éthiques. » Ils demandent qu’elles soient « soumises aux obligations d’évaluation des risques, d’étiquetage et de traçabilité. »

Problèmes éthiques

« C’est dommage d’interdire ces techniques avant même d’avoir une vision globale sur tout ce que cela permettrait de changer et jusqu’où on peut aller avec », rétorque Christian Huyghe. Pour lui, il faut que la Commission européenne « se hâte lentement pour légiférer. » Car si elle statue rapidement, ces nouvelles techniques tomberont directement sous la réglementation 2001/18. Or cette directive a été écrite dans un contexte où les besoins de l’agriculture étaient complètement différents de ce qu’ils sont aujourd’hui. Les problèmes environnementaux n’étaient pas pris en compte. Or, si avec ces techniques on peut baisser les intrants pourquoi s’en passer ? » Les semenciers souhaitent que des évaluations soient faites au cas par cas, sur la base du produit final obtenu et non pas sur la technique utilisée. Bruxelles doit rendre son interprétation juridique d’ici à la fin de l’année et définir les frontières, parfois floues, entre les NBT et les OGM.

(1) Lire La France agricole du 29 avril, p. 18.