Depuis deux mois, c’est calme dans le réseau Agrilocal… Ces plateformes numériques, intermédiaires virtuels entre les producteurs locaux et les acheteurs de la restauration collective, sont pratiquement à l’arrêt. La plupart des cantines ont fermé et celles restées ouvertes, comme celles des Ehpad, n’ont pas forcément travaillé avec du produit frais et local. « Certaines ont privilégié des denrées plus faciles à travailler car elles ont manqué d’effectifs pour préparer les repas », constate Julien Meyroneinc, coresponsable d’Agrilocal dans le Puy-de-Dôme, un département pionnier de la démarche.

Après la fermeture brutale des établissements scolaires, l’urgence a été de gérer les stocks. Tout ce qui pouvait être congelé l’a été, le reste donné à des associations caritatives, et les commandes ont été mises en sommeil. Lundi 18 mai, malgré la réouverture des écoles et collèges de zone verte, la majorité des 36 départements adhérents à Agrilocal n’affichait aucun appel d’offres en cours. Le Puy-de-Dôme faisait figure d’exception, avec 12 consultations lancées par des acheteurs. Ce qui reste, toutefois, anecdotique… « Les effectifs d’élèves sont très faibles et variables, et certaines écoles ne rouvrent pas la cantine, remplaçant les déjeuners par des paniers-repas, explique Julien Meyroneinc. Je viens d’avoir au téléphone un collège qui servait 600 repas par jour et n’en prévoit plus que 40 à 70. » Dans le département, les remontées des établissements laissent entrevoir qu’un cinquième des effectifs seraient présents la semaine du 18 mai, et peut-être le double en juin, après la rentrée des élèves de quatrième et cinquième. Une prévision très supérieure aux estimations nationales du syndicat de la restauration collective (lire l’encadré).

Pas avant septembre

Quoi qu’il en soit, « pour l’ensemble des collèges, comme pour la plupart des écoles, il n’y aura pas de retour à la normale avant septembre, prédit Julien Meyroneinc. Les cantines vont retravailler ponctuellement avec des fruits et légumes frais, mais pour les autres produits, elles vont écouler les stocks congelés. On fait tout pour que ça reprenne au plus vite. Par exemple, même si on ne peut pas organiser de rencontres physique entre acheteurs et producteurs, on maintient des animations sous une autre forme afin d’envoyer le signal d’une reprise d’activité normale. »

En Bretagne, le Gaec des Gaboriaux, producteur et transformateur de lait, perçoit aussi les signes de cette timide reprise. « Quelques écoles recommencent à nous appeler, mais elles commandent peu par manque de visibilité sur leurs effectifs », témoigne Anne-Marie Mahé. Le Gaec a également repris la livraison de quelques restaurants, dont les clients étaient demandeurs de yaourts dans les formules à emporter.

Le président de la coopérative Bio Île-de-France, Marc Chauvin, prend lui aussi son mal en patience. « On a quelques petites commandes, mais beaucoup moins qu’en temps normal. Pour tout ce qui est scolaire, on attend septembre. Pour la restauration d’entreprise, on ne sait pas trop. D’habitude, les mois de juillet et août sont calmes, mais là, il y aura peut-être plus d’activité s’il y a moins de départs en vacances… » Le confinement a porté un coup brutal à cette coopérative, qui avait inauguré en janvier une légumerie destinée à fournir les cantines de la région. « La production de quatrième gamme devait démarrer le 16 mars. Heureusement, on a également un outil de première gamme, qui a bien tourné pour les magasins spécialisés comme Biocoop. On espère pouvoir démarrer la quatrième gamme en mai-juin. » Marc Chauvin en tire au moins un enseignement : « La stratégie de notre coopérative, qui est diversifiée en termes de producteurs, de clientèles et d’outils, a montré son efficacité. Même si on a fait 18 000 € de dons à des associations, on a finalement très peu perdu de produits. Par contre, il faudra vraiment que cela redémarre en septembre, car on a pris du retard sur notre chiffre d’affaires prévisionnel. »

30 % des marchés fermés

Juste après les écoles, le 12 mai, les marchés de plein air et couverts ont été autorisés à ouvrir. Le préfet garde la possibilité de les fermer s’il considère, après avis du maire, que les conditions sanitaires ne sont pas réunies. Au 15 mai, 30 % des marchés, essentiellement situés dans de grandes villes, étaient encore fermés, selon la Fédération des marchés de France. Des pourparlers pour en ouvrir 10 % de plus seraient en bonne voie. Sa présidente, Monique Rubin, se félicite de la « très belle fréquentation des marchés alimentaires » pendant la période de confinement. Mais elle dénonce l’excès de zèle de certains préfets et maires. « 10 % des marchés ouverts le sont dans de mauvaises conditions­, où certains commerçants sont exclus. Tous les professionnels, qu’il s’agisse de produits alimentaires ou non, locaux ou non, doivent être accueillis. Un marché est un tout : il n’est attractif que si tout le monde est présent. »

Des situations « ubuesques », Olivier Timmerman, éleveur et transformateur à la Ferme de la Pâturelle, dans l’Aisne, en a vu sur les marchés où il vend sa production. « Je me suis battu avec le préfet de l’Aisne pour qu’il autorise le marché de Chauny. Au moment où le préfet semblait changer d’avis, le maire ne voulait plus. Au final, le marché a pu rouvrir mais avec un nombre restreint de huit producteurs. » À Laon, au début du confinement, le marché avait été annulé au tout dernier moment : quelques producteurs s’étaient déplacés avant que la police municipale ne les expulse, raconte l’éleveur. Après cet épisode, il peine à redémarrer malgré sa réouverture officielle. À Compiègne, dans l’Oise, le marché est resté ouvert tout le temps, mais seuls les étals alimentaires sont autorisés - avec port obligatoire du masque. Après une baisse de fréquentation pendant le confinement, le producteur dit avoir « retrouvé des ventes et une recette normale sur ce marché ».

Ce n’est aujourd’hui pas le cas de Thomas Paulmier, maraîcher dans les Yvelines, qui a dû s’adapter à la nouvelle configuration des marchés. Les conditions drastiques de la réouverture n’ont pas permis de retrouver sa clientèle­ habituelle. Mais pendant le confinement, « on a découvert les livraisons et on continuera. C’est une meilleure qualité de vie et moins de frais, se réjouit-il. Et les consommateurs ont pris de nouvelles habitudes. »

Effet « nouveauté »

« La fermeture de nombreux marchés a donné un coup d’arrêt brutal à certains producteurs, mais ceux qui ont des débouchés segmentés ont pu mieux s’en sortir », analyse Jean-Marie Lenfant, président délégué du réseau Bienvenue à la ferme. Le 4 mai, le réseau comptait 18 nouveaux points de retrait, portant leur nombre à 106. Les drives fermiers du réseau enregistrent normalement 1 600 commandes hebdomadaires. Durant la crise, elles ont quadruplé et le panier moyen est passé de 40 à 53 €.

C’est ce qu’ont expérimenté Anaïs et Romain Soudant, qui produisent des glaces fermières dans les Ardennes. Le drive, qui écoule une partie de leurs produits, a vu sa fréquentation grimper en flèche. « Nous sommes passés d’une quarantaine de paniers hebdomadaires à 200 commandes », précise Anaïs. 145 paniers ont encore été commandés la semaine du déconfinement.

À Vains, dans la Manche, la ferme des Cara-meuh ! a, elle aussi, créé en mars un drive fermier et un système de livraisons à domicile pour palier la fermeture de son magasin. Elle propose à la vente ses caramels et les produits d’une quarantaine de producteurs. Après un pic de 70 ventes, les commandes ont diminué. Jason Lefranc, cogérant de l’exploitation, explique qu’il y a eu un effet « nouveauté » au départ. « Le nombre de commandes a encore baissé la première semaine de déconfinement, mais c’est aussi parce que les clients ont pu venir dans notre boutique. On va essayer de faire durer ça. » Puisque les clients recherchent une variété de produits, la ferme Cara-meuh ! vient de se lancer dans la production de fromages.

De leur côté, Anaïs et Romain Soudant se demandent si les personnes qui ont découvert le drive deviendront des clients­ fidèles. « On le saura après la reprise de l’école et le retour au bureau des parents, synonymes de reprise des habitudes. » Si cet engouement pour les produits locaux les ravit, ils reconnaissent que ces changements ont chamboulé leur rythme de travail déjà soutenu. Ils mesurent cependant leur chance « d’avoir des modes de commercialisation qui ont continué à tourner ».

A. G, B. L, A. M. et B. Q.