Face aux chamboulements induits par l’épidémie de coronavirus, les filières et les producteurs ont dû s’adapter. En circuit court, la prise de conscience a été rapide. « Il y a des disparités entre les exploitations qui sont situées en zone rurale, pour qui la clientèle se déplace moins facilement et qui ressentent davantage des baisses de chiffre d’affaires, et les producteurs qui sont en zone périurbaine, qui peinent à fournir la demande, notamment en fruits et légumes. De même, les structures qui vendaient de gros volumes en restauration hors domicile (RHD) ont du mal à trouver de nouveaux débouchés pour la totalité de leur production », relève Nathalie Velay, chargée de mission pour le CerFrance Alliance Massif Central.
Daniel Perbal, conseiller d’entreprise à AS CEFIGAM de la Meuse, estime que ce sont les éleveurs qui vont trinquer, surtout ceux qui connaissent déjà des problèmes : « Ceux dont les structures étaient en vitesse de croisière devraient pouvoir encaisser le choc. En mouton, ça va être très compliqué et en engraissement de bovins, les animaux partent au compte-gouttes, avec une baisse de 20 à 30 % sur les prix. » Toutes les filières sont impactées. En production laitière, devant les difficultés à trouver des débouchés, le Cniel incite les producteurs à réduire leur production (lire ci-dessous). Pour les aviculteurs, les pertes de débouchés en RHD touchent fortement la filière. Le 3 avril, la Confédération française de l’aviculture annonçait déjà un allongement des vides sanitaires, mais aussi des abattages anticipés ou de la destruction de cheptel. Difficile dans ces conditions d’y voir clair tant les incertitudes sont grandes quant à la fin du confinement et surtout aux conséquences sur les entreprises. Pour les horticulteurs, les centres équestres, les exploitants qui possèdent des locations saisonnières ou une activité d’accueil à la ferme, la sentence est lourde. Ils ont été contraints d’arrêter leurs activités et sont fortement touchés. Les cinq syndicats agricoles font part de leurs inquiétudes concernant ces secteurs. Ils estiment que les aides gouvernementales seront insuffisantes pour repartir, notamment pour la filière horticole qui a perdu 80 % de son chiffre d’affaires et doit continuer à payer ses salariés pour détruire les stocks.
Soutenir les trésoreries
À court terme, pour les exploitations qui subissent une baisse du chiffre d’affaires, l’urgence est d’arriver à passer la crise, soit avec ses propres ressources quand c’est possible, soit avec les soutiens de l’État. « Il existe pour l’instant peu de leviers en dehors de celui de la trésorerie : ajuster ses charges, différer ses investissements et évaluer quel est le niveau de trésorerie disponible pour payer les charges fixes et faire face à la baisse de chiffre d’affaires. Les mesures gouvernementales permettent de soutenir les trésoreries avec des reports d’échéances ou des prêts de trésorerie garantis par l’État (lire l’encadré p. 14). Mais ces mesures seront à terme des annuités supplémentaires à rembourser », met en garde la conseillère.
L’aide gouvernementale de 1 500 € pour les entrepreneurs indépendants semble peu adaptée au secteur agricole. « Son accès est conditionné à une baisse du chiffre d’affaires mensuel qui ne correspond pas à l’hyper-saisonnalité de l’agriculture. Par ailleurs, son montant est faible si on le compare au niveau de charges de structure auquel doit faire face un exploitant. Nous espérons des mesures gouvernementales concernant la perte d’exploitation », analyse Nathalie Velay. Les mesures de chômage partiel permettent également aux employeurs qui ont perdu la totalité de leurs débouchés, notamment en RHD, de réduire drastiquement leurs charges pour passer le cap. Même s’il est encore tôt pour juger de l’efficacité de ces mesures, les syndicats agricoles sont unanimes pour dire qu’elles ne sont pas toujours adaptées au contexte agricole. La Coordination rurale ajoute que les reports de charges fiscales et sociales ne sont pas suffisants et qu’il faudrait « des exonérations ou des prises en charge par l’État » ainsi que des aides proportionnelles aux pertes enregistrées. JA travaille sur des aides spécifiques par filière et sur l’accompagnement après la sortie de crise.
Contacter sa banque
Du côté des banques aussi il a fallu changer les habitudes, en déployant massivement le télétravail et en limitant la présence physique en agence. Si les conseillers suspendent les visites dans les exploitations, ils recourent au téléphone et aux e-mails. « Le quotidien est plus compliqué pour tout le monde. Mais nous mettons tout en œuvre pour rester disponibles et réactifs auprès de nos clients », insiste Sabine Calba, directrice du développement de Banque populaire. Au Crédit agricole, « 85 % des agences sont ouvertes et l’activité des autres a été reconcentrée, explique Jean-Christophe Roubin, directeur de l’Agriculture. Nous sommes en capacité de répondre à tous nos clients. » Même mobilisation du côté du Crédit mutuel, se félicite Sébastien Prin, en charge du marché agricole, où « la communication continue » avec des équipes « presque au complet ».
Les trois banques assurent être prêtes à accompagner leurs clients dans leurs besoins de trésorerie. « Nous demandons à tous nos conseillers d’informer les agriculteurs sur les possibilités de pause ou report des échéances bancaires et sur le prêt garanti par l’État (PGE) à taux zéro », détaille Jean-Christophe Roubin, de Crédit agricole SA.
Prêt de trésorerie à taux zéro
Pour bénéficier de ces deux mécanismes, disponibles depuis le 25 mars, « les demandes explosent dans tous les secteurs économiques affectés par la crise sanitaire », constate Sébastien Prin. En agriculture, les productions viticoles et horticoles sont pour l’heure les plus touchées. Les deux dispositifs sont ouverts jusqu’à la fin de l’année à toute entreprise présentant des difficultés économiques avérées. Il existe aussi la modulation des échéances, actionnable contractuellement dans la plupart des prêts, qui permet de diminuer temporairement une échéance ou de la reporter. À étudier avec son banquier.
Certains jouent le jeu en ne prenant pas de frais d’avenant et en reportant les échéances tout en rallongeant la durée des prêts, mais ce n’est pas le cas partout, nous confie un conseiller de gestion de l’ouest de la France. Les exploitations qui sont déjà endettées auront du mal à faire face à de nouvelles échéances à moyen et long terme. Il faut que tous les acteurs soient solidaires dans l’accompagnement des agriculteurs, les banques, assurances, coopératives, centres de gestion…, insiste le conseiller. Jean-Claude Wailliez, secrétaire national du Modef, alerte aussi sur « le manque de confiance des banques qui demandent des garanties ».
Mesures européennes
Face à l’ampleur de la crise, la FNSEA souhaite que soient rapidement prises des mesures de crise communes au niveau européen. « Nous ne pourrons pas trouver de débouchés pour tout, s’inquiétait Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, le 2 avril. Nous nous sommes tournés vers le ministre de l’Agriculture pour demander à Bruxelles d’envisager le plus vite possible des mécanismes d’accompagnement et de retrait. » Le syndicat estime qu’un accompagnement financier est nécessaire pour pouvoir reporter, stocker, congeler et « faire en sorte que la perte économique pour les producteurs soit atténuée ». L’enjeu pour les entreprises est autant de tenir le coup durant le confinement, que de pouvoir repartir après la crise. A.M., B.L., A.G., S.B., B.Q., M.S.