Présenté le 9 octobre dernier en Conseil des ministres, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 propose, à l’article 46, la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes de maladies professionnelles liées aux produits phytopharmaceutiques. Une création maintes fois repoussée, dans l’attente notamment de la publication d’un rapport gouvernemental sur les modalités de fonctionnement du fonds (lire l’encadré p. 14).

Plus simpleet plus rapide

Le fonds prendra la forme d’une entité dédiée au sein de la CCMSA ou de plusieurs caisses de MSA référentes. La date d’effet des prestations est fixée au 1er janvier 2020. Ce guichet unique aura pour objectif de centraliser et d’instruire toutes les demandes de reconnaissance des maladies professionnelles, « en rendant la procédure plus simple, plus rapide, plus juste et homogène sur le territoire », précise le ministère de la Santé.

Le fonds étend notamment l’indemnisation, au titre de « la solidarité nationale », aux exploitants agricoles retraités avant 2002, date de la création du régime obligatoire AT/MP (accidents du travail/maladies professionnelles), ainsi qu’aux enfants dont la pathologie est directement liée à l’exposition professionnelle de l’un de leurs parents pendant la période prénatale.

Autre avancée : il va permettre d’indemniser « plus équitablement » les victimes professionnelles de pesticides, en améliorant la réparation des exploitants agricoles, qui sera, pour partie, alignée sur celle, plus favorable, des salariés agricoles. Mais « le texte reste flou sur ce qui peut être pris en charge pour les agriculteurs », estime Antoine Lambert, vice-président de l’association Phyto-Victimes. Même inquiétude de la MSA concernant le manque de précision sur le détail du financement et les moyens associés à cette gestion. Elle demande ainsi le report de la mise en œuvre opérationnelle du fonds (dépôt et traitement des dossiers) au 1er juillet 2020.

« C’est une première étape, le gouvernement ouvre le débat, se félicite toutefois Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, rapporteur d’une proposition de loi sur le sujet au début de cette année. Un processus irréversible est engagé, mais la route est encore longue pour une réparation intégrale de l’ensemble des victimes de produits phyto. » Car, en effet, l’indemnisation prévue par le fonds reste forfaitaire, ce que dénonce Phyto-Victimes. « Nous affirmons, dans un esprit de justice, que seule une réparation intégrale et pour toutes les victimes est à la hauteur du préjudice », écrit l’association, le 11 octobre dans un communiqué. Elle ne se satisfait pas de la possibilité, pour les victimes indemnisées, de solliciter une réparation complémentaire intégrale, « en recherchant la responsabilité des auteurs potentiellement fautifs ».

Selon le ministère de la Santé, les dépenses du fonds devraient atteindre 53 millions d’euros d’ici à 2022, après une montée en charge progressive en 2020 et 2021. Sont non comprises, les dépenses afférentes à l’indemnisation AT/MP de droit commun, qui resteront financées par les cotisations AT/MP des employeurs. Quant au financement du fonds, lié au versement du complément d’indemnisation, ainsi qu’à l’indemnisation des exploitants agricoles et à celle de leurs enfants, il reposera sur un relèvement progressif de la taxe sur les ventes de produits phyto par les firmes. « Le plafond de cette taxe est fixé à 3,5 % sur la base des dépenses prévisionnelles à échéance 2030 », est-il précisé dans le projet de texte. En 2020, ce taux sera fixé à 0,9 %, contre 0,3 % actuellement. Cette taxe finance aujourd’hui le dispositif de pharmacovigilance de l’Anses (1). « Attention toutefois à ce que ce système de réparation des victimes ne fasse pas baisser la garde sur la prévention des risques concernant l’utilisation des produits », pointe Dominique Potier.

Désengagement de l’État

« Nous sommes d’accord sur le principe d’indemniser les victimes professionnelles, considère de son côté Eugénia Pommaret, directrice générale de l’UIPP (2). Encore faut-il que le lien entre l’utilisation des phytos et la maladie soit étayé scientifiquement. Et que l’État mette la main à la poche ! » Son argument : « Ce sont les pouvoirs publics qui autorisent la mise sur le marché des produits. Il ne faut pas faire reposer ce fonds uniquement sur le secteur économique. » Même son de cloche à la FNSEA : « L’augmentation de la taxe phyto va se répercuter sur le prix des produits d’une façon ou d’une autre, craint Christian Durlin, vice-président de la commission environnement. Et les cotisations MSA risquent aussi d’augmenter. L’intention de ce fonds est bonne, mais ce n’est pas qu’à la profession d’en porter le poids. »

L’examen du texte devait commencer cette semaine en commission à l’Assemblée nationale. Pour Dominique Potier, ce fonds est aussi une façon de créer un « écosystème de connaissances permettant d’enrichir le débat ». Il reste à le mettre en musique.

Isabelle Escoffier

 

(1) Agence nationale de sécurité sanitaire.

(2) Union des industriels de protection des plantes.