Difficile ces jours-ci d’échapper au fameux : « Êtes-vous pour ou contre le glyphosate ? » Il faudrait d’abord préciser si l’on parle de son utilisation en tant qu’herbicide en France, sur des cultures OGM dans les Amériques ou des résidus dans les produits finis, ou encore de son impact sur la santé des utilisateurs. Ensuite, interroger les personnes qualifiées et renseignées, qui ont étudié sérieusement la question. Cela demande du temps, de la réflexion et de la rigueur intellectuelle. Une démarche à contre-courant de la mode actuelle où chacun pourrait avoir un avis sur tout, pour peu qu’il ait regardé un documentaire à la télévision.

Cacophonie médiatique

La cacophonie médiatique et les assertions contradictoires qui pullulent sur les réseaux sociaux, donnent un avantage à la crédulité sur la rationalité, déplore le sociologue Gérald Bronner (1) : « Le détenteur d’un compte Facebook peut contredire un membre de l’Académie de médecine. » Et dans ce grand maelström d’informations, « ce ne sont pas les propositions les plus argumentées qui l’emportent mais les plus subjectivement satisfaisantes, celles qui vont dans le sens des croyances ».

Dans le traitement médiatique des dangers du glyphosate, l’Association française pour l’information scientifique (Afis) dénonce dans un communiqué un « journalisme d’insinuation », qui consiste à sélectionner les études en en occultant d’autres, le tout en laissant penser à une conspiration et à des intérêts cachés des contradicteurs.

Par facilité ou précipitation, les médias d’information peuvent aussi faire des raccourcis et propager des idées fausses. Par exemple en mélangeant allègrement les périmètres d’études de la FAO et du Giec pour comparer les émissions de l’élevage à celles des transports… Et une fois qu’une opinion est forgée, difficile de ré-informer ! A force de rabâchage, les esprits sont formatés, mettait en garde Christian Levêque, ancien chercheur et membre émérite de l’Académie d’agriculture, lors d’une conférence le 18 mai : « Il y a une dramatisation autour de l’érosion de la biodiversité et du million d’espèces menacées. C’est de l’endoctrinement médiatique pour affoler les populations. » Son avis ressemble à un pied de nez aux conclusions des experts de l’ONU réunis fin avril à Paris. Mais ce spécialiste de l’écologie et de la biodiversité ne se démonte pas et appelle à davantage de rigueur scientifique et à la mesure sur la situation en Europe : « Les systèmes sont dynamiques et non pas fixés, et l’écologie est contingente. »

La démarche scientifique, qui avance à partir d’hypothèses testables et réfutables, devrait être la meilleure garante de l’objectivité et de la rationalité. Pourtant, même la science est soupçonnée d’être à la solde des lobbies économiques, ou tordue par des idéologies (lire encadré page 18). Le scientifique serait-il militant, même à son insu ? C’est pour éviter ce genre d’écueil que les parlementaires ont saisi l’OPECST (2) sur l’indépendance et l’objectivité des agences européennes pour l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux. Leur rapport rendu le 16 mai recommande d’ailleurs d’en renforcer les capacités d’évaluation et la transparence (lire page 24).

Sur des bases rationnelles pourront s’organiser des débats contradictoires, dépassionnés et argumentés. Mieux informé sur le plan scientifique, le législateur pourra alors trancher pour le bien commun, tout en effectuant les arbitrages économiques, politiques ou sociétaux inévitables. Sur l’épineux sujet de l’impact des pesticides, la recherche publique doit éclairer la décision politique, recommandent justement des scientifiques dans une tribune du journal Le Monde le 19 mai. Sur des sujets complexes, les chercheurs doivent sortir de leurs laboratoires et prendre davantage la parole, reconnaissait Philippe Mauguin, PDG de l’Inra lors d’un débat du Syrpa, les agricommunicants, le 17 avril à Paris.

La rigueur scientifique est un rempart contre les théories fantaisistes. Les Académies des sciences des pays du G7 l’ont récemment rappelé à leurs gouvernements, en les enjoignant de « réassoir le rôle de la science au sein de la société ». Elles recommandent la formation des plus jeunes au raisonnement scientifique et à l’esprit critique. A charge pour les scientifiques d’être irréprochables « en matière d’éthique, d’intégrité et de responsabilité », rappellent les Académies.

Vigilance des lecteurs

A la responsabilité des médias s’ajoute la vigilance des lecteurs. Pour être bien informé, mieux vaut privilégier des sources fiables. Car quand une étude de dix pages est relayée dans un court article généraliste, on comprend aisément qu’il y a un risque d’approximations et de distorsions !

Contre la simplification de l’information, les agriculteurs ont un rôle à jouer. En tant que professionnels de terrain, ils sont légitimes pour défendre leurs modes de production. Contre les images déformées ou à charge de L214, des éleveurs répliquent en se filmant sur les réseaux sociaux, ouvrent les portes de leurs fermes. Si les agriculteurs n’occupent pas le terrain, leurs détracteurs le feront. Sophie Bergot

(1) Entretien à L’Express du 20 avril 2019 à l’occasion de la sortie de son dernier livre : « Déchéance de rationalité ».

(2) Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.