Une baisse du cheptel allaitant qui pourrait atteindre les 10 % en juin 2019, un résultat courant des exploitations « naisseur spécialisé » qui s’effondre de 30 %, un renouvellement des générations à la peine. Face à la multiplication des signaux d’alarme, les attentes qui reposent sur l’application du plan de filière viande bovine sont fortes.

Le 14 décembre 2017, les vingt et une familles d’Interbev affichaient leur unité autour d’une stratégie interprofessionnelle déclinée en dix objectifs. « Un moment historique pour une filière extrêmement disparate et complexe », souligne Philippe Chotteau, économiste à l’Institut de l’élevage. Le principe : enrayer la baisse de la consommation en répondant aux attentes des consommateurs par une montée en gamme de la production créatrice de valeur, et rémunérer équitablement chaque maillon de la filière. Si la majorité des acteurs salue cette logique, ils sont peu nombreux à penser que les dix objectifs puissent être tous réalisés en temps et en heure, les considérant davantage comme des « horizons à atteindre ».

Montée en gamme

« La montée en gamme repose sur la réponse aux enjeux sociétaux et sur l’amélioration de l’expérience gustative, présente Guy Hermouet, le président de la section bovins d’Interbev. La charte des bonnes pratiques d’élevage est actuellement retravaillée. Elle pourrait intégrer les diagnostics d’impacts environnementaux CAP’2ER et de bien-être animal BoviWell. » La rédaction d’un accord interprofessionnel, sur la qualité organoleptique minimale des viandes destinées à être commercialisées sous forme piécée, est en cours et une grille d’évaluation du niveau de persillé est en phase de test.

Mesure phare de cet axe : la montée en puissance du label rouge, avec un objectif de labellisation de 40 % de l’offre piécée fin 2022. « L’idée est de simplifier l’offre en proposant une segmentation claire : le standard et le premium, ce dernier reposant sur un label connu des Français, explique Pierre Cabrit, le président de Fil rouge (1). Il n’est pas question de faire un label rouge au rabais, mais, au contraire, de le renforcer. » Les conditions communes de production sont en rediscussion (voir encadré). En 2017, 56 000 bovins ont été commercialisés sous label rouge, soit 1,7 % de la production française de bovins finis. Les chiffres 2018 ne sont pas encore consolidés, « mais l’augmentation ne dépassera pas quelques pour cent, estime Caroline Gallard, de Fil rouge. Il faut du temps pour que les choses se mettent en place. »

Les professionnels interrogés sont unanimes. La majorité des élevages allaitants pourrait être habilitée, sans bouleversement majeur de leur mode de production. C’est d’ailleurs une nécessité si l’objectif des 40 % doit être atteint. « Le frein est plutôt à chercher du côté de l’aval, confirme Cécile Devèze, de Fil rouge. En moyenne, chaque année, quatre gros bovins sont labellisés par exploitation, sur quinze à vingt animaux labellisables. »

« Nous sommes partants pour commercialiser davantage de label rouge, mais nous ne trouvons pas les volumes suffisants », assure Michel Biero, le responsable exécutif des achats de Lidl France. Culture viande, le syndicat majoritaire des abatteurs, renvoie, quant à lui, la balle dans le camp de la distribution… Concernant l’acceptabilité de la hausse des prix inhérente à la montée en gamme, le responsable de Lidl met en garde sur le fait qu’elle « devra rester modérée pour ne pas freiner les achats. Quitte à rogner un peu sur notre marge de distributeur. »

Le « nouveau » label rouge fera l’objet d’une contractualisation, prenant en compte les coûts de production. Une avancée intéressante, le système de plus-value actuellement répandu n’étant pas toujours gage d’une rémunération suffisante. « Nous réfléchissons d’ailleurs à faire certifier "équitable" la démarche », ajoute Pierre Cabrit.

Contractualisation

Second axe du plan de filière, la répartition équitable de la valeur s’appuie en grande partie sur le développement de la contractualisation prenant en compte un indicateur des coûts de production en élevage. L’interprofession s’est fixée l’objectif ambitieux d’atteindre la contractualisation de 30 % des transactions d’ici fin 2022, contre moins de 2 % aujourd’hui. En janvier dernier, la méthode de calcul de l’indicateur des coûts de production a été validée au sein d’Interbev, après des mois de discussion.

Les débats portent maintenant sur le choix d’indicateurs de marché. « Une fois qu’ils seront diffusés, il reviendra à chaque partie au contrat de négocier la façon dont ils seront pris en compte », précise Annick Jentzer, animatrice de la section bovins d’Interbev. Une marge de manœuvre qui fait craindre à la Coordination rurale une dilution forte de l’indicateur des coûts de production. Le syndicat regrette également l’absence de réflexion sur la rémunération des éleveurs hors contrat, et propose une régulation de la production à l’échelle européenne.

« Le prix n’est aujourd’hui que l’expression d’un rapport de force, déplore Olivier Mevel, consultant en stratégie des entreprises agroalimentaires. La contractualisation suppose une responsabilisation de l’ensemble de la filière autour de la notion de gagnant-gagnant. C’est loin d’être acquis, avec un acteur industriel en situation de quasi-monopole. Pourtant, c’est l’unique façon de déconnecter le troupeau allaitant du premier prix, en identifiant la viande qui en est issue à des engagements sociétaux forts. »

20 % de contrat chez Lidl

« La contractualisation tripartite est l’outil indispensable pour résoudre les problèmes de rémunération des éleveurs, abonde Michel Biero. Sans transparence, il n’y a pas de ruissellement de la valeur possible. Chez Lidl, notre segmentation est simple : 50 % de viande de laitières, 30 % de viande charolaise maturée dix jours et 20 % de viande maturée quatorze jours, sous packaging TraySkin, faisant l’objet de cinq contrats tripartites régionaux. » S’il dit espérer que le milieu de gamme charolais puisse également bénéficier d’une contractualisation tripartite, le responsable explique se heurter à certaines résistances d’industriels, « que la transparence rebute ». Les contrats tripartites, signés entre une organisation de producteurs, un industriel et Lidl, ne font pas mention d’un indicateur des coûts de production, jugé « trop généraliste ». En revanche, « ce sont les éleveurs qui fixent leur prix et la durée du contrat. Ensuite, nous signons un second contrat sur les conditions d’achat avec l’industriel. Nous valorisons plus de 90 % de la carcasse. »

Si Lidl paraît développer la contractualisation tripartite sur des volumes significatifs de son approvisionnement, cela ne semble pas être le cas de l’ensemble des distributeurs. « Les signatures sont très médiatisées mais les volumes engagés restent pour le moment encore faibles, constate Philippe Dumas, le président de Sicarev (lire en page 8).

Retrouver l’équilibre

Le niveau de valorisation de l’ensemble de la carcasse des bovins allaitants, mis à mal par le développement du steak haché, est au cœur des préoccupations des industriels. Chaque année, la part de la carcasse destinée à la transformation augmente. Or, la viande transformée bénéficie généralement de prix inférieurs à ceux de la viande brute.

Mathieu Pecqueur, le directeur de Culture viande, appelle à la revalorisation du steak haché, « devenu la clef de voûte économique de la filière pour mieux contribuer à la rémunération des éleveurs, ainsi qu’au retour à la rentabilité de certains sites d’abattage. » Cela passera par une plus grande lisibilité de la segmentation "produit", en développant notamment la part sous label rouge et bio. « La multiplication des références peut être contre-productive, souligne Philippe Dumas. Le consommateur ne s’y retrouve pas et l’industriel voit ses coûts logistiques augmenter. »

« La reconquête du marché de la restauration hors foyer est aussi un axe prioritaire, ajoute Mathieu Pecqueur. Le steak haché français a des atouts à faire valoir : son cahier des charges impose une composition 100 % muscle, une exception ! Si demain tous les restaurants, les cantines et les fast-foods servaient du bœuf made in France, l’appel d’air ainsi créé serait très bénéfique pour la filière. »

« Pour que ça fonctionne, il faut actionner l’ensemble des leviers du plan de filière simultanément, insiste Philippe Dumas. Sans revalorisation du steak haché, nous n’atteindrons pas les 40 % de label. Si le consommateur est déçu par la viande, nous n’enrayerons pas la baisse de la consommation. Au contraire, si la déception à l’achat est très anecdotique, nous serons peut-être en mesure de faire passer une légère augmentation du prix des pièces de viande. Enfin, le développement des envois vers des marchés extérieurs créateurs de valeur, qui est le dixième objectif, pourra permettre d’aller chercher une meilleure valorisation de certains morceaux. »

Valérie Scarlakens

 

(1) Fédération des labels rouges bœuf, veau, agneau.

(2) Film transparent qui moule les contours du produit.