La mobilisation ne faiblit pas chez les planteurs de Saint Louis Sucre touchés par le plan de restructuration de la maison mère allemande Südzucker, premier sucrier mondial et européen. Après la manifestation le 22 février devant l’usine de Cagny, dans le Calvados (1), ce sont cette fois les agriculteurs et les salariés de la sucrerie d’Eppeville qui ont dit « non », le 1er mars, au projet de fermeture de l’usine de la Somme, soutenus par de nombreux élus.
La France paie la note
Environ 20 000 ha de betteraves seraient en jeu si l’usine d’Eppeville devait fermer en 2020. « La France paie la note pour l’Europe, avec la disparition de 500 000 t de sucre sur les 700 000 t prévues, souligne Emmanuel Pigeon, directeur des syndicats betteraviers des Hauts-de-France. Les sucreries que Saint Louis a prévu de fermer en Allemagne et en Pologne sont de petites usines. Les surfaces seront reprises par d’autres sucreries. Alors qu’en France, c’est une perte nette de surfaces ! »
Les planteurs espèrent encore infléchir la décision de Südzucker. « Un rendez-vous est programmé à Strasbourg la deuxième quinzaine de mars avec la direction du groupe », annonce Franck Sander, président du syndicat. Et de poursuivre : « Le gouvernement français devrait se poser la question : Pourquoi l’Allemagne a choisi de restructurer les sucreries françaises ? » Pour certains, il s’agit d’une volonté outre-Rhin d’affaiblir la production hexagonale, la première en Europe. L’Allemagne pense, par ailleurs, qu’en France le contexte réglementaire est compliqué, avec, par exemple, l’absence de dérogations pour utiliser les néonicotinoïdes, à l’inverse d’autres pays producteurs de betteraves. Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, va recevoir la semaine prochaine avec Bruno Le Maire, ministre de l’économie, le P.-D.G. de Südzucker.
L’arrêt programmé de cinq usines Südzucker en Europe s’inscrit dans un contexte de pertes de la branche sucre du groupe. Ce dernier entend économiser 100 M€/an pour s’adapter à la nouvelle donne du marché. La hausse des surfaces dans l’UE à partir de 2017, ainsi que les bonnes performances de l’Inde, du Pakistan, de la Thaïlande et du Brésil ont, en effet, fait dévisser les cours en 2018, jusqu’à 314 €/t en décembre pour le sucre blanc européen.
Südzucker n’est pas le seul à subir de plein fouet la baisse des cours. « Tous les sucriers vont être dans le rouge en 2018-2019, confirme Bruno Hot, président du SNFS (2). Dans ce contexte, les fermetures d’usines, annoncées le 14 février dernier, ne sont-elles pas les premières d’une longue série ? Si le premier sucrier européen a été le premier à dégainer, tout le monde s’accorde à dire qu’il ne sera pas le seul groupe à vouloir diminuer ses capacités de production. L’Europe de l’Ouest serait la plus touchée.
Arbitrage
« Il y aura forcément une restructuration du secteur dans les deux prochaines années, en France ou ailleurs en Europe », anticipe Bruno Hot. Selon lui, deux choix s’offrent aux sucriers européens. « Est-ce que je continue à exporter en pariant sur une remontée des cours ou est-ce que je diminue la production car j’estime que l’exportation n’est pas rentable ? », considère le président du SNFS. Südzucker, coté en Bourse, a fait le pari de baisser sa production vu l’ampleur de ses pertes. Une vision stratégique que ne partage pas Franck Sander : « Le marché devrait se rééquilibrer, assure-t-il. Pour preuve le prix spot européen a progressé de 30 % en deux mois. » « Le marché restera encore difficile sur une longue période et sujet à pertes, estime Thierry Desesquelles, directeur betteravier chez Saint Louis Sucre. Südzucker a donc décidé de diminuer la part de sucre à exporter sur les pays tiers pour être moins exposé. »
Le concurrent allemand, Nordzucker, deuxième sucrier européen, ne s’est pas encore positionné. Le numéro trois, Tereos, ne prévoit aucune fermeture d’usine. « Nous continuons d’investir dans notre parc industriel français », assure la coopérative. Chez Cristal Union, « on observe ce qui se passe avant de prendre des décisions irréversibles ». Olivier de Bohan, son président, s’interroge : « L’Europe veut-elle voir disparaître les régions betteravières les plus compétitives et maintenir artificiellement les pays qui le sont moins ? » En effet, une douzaine de pays, aux rendements les plus faibles, ont fait le choix d’aides Pac couplées pour conserver cette production. C’est le cas en Pologne, Roumanie, Italie, Espagne… « Il s’agit d’une distorsion de concurrence, comme pour les néonicotinoïdes », regrette Olivier de Bohan.
Lors de la réforme de 2006, 85 sucreries avaient fermé, notamment en Europe de l’Est et en Europe centrale. Cette restructuration « administrative » faisait suite à la condamnation par l’OMC (3) de l’organisation communautaire du marché du sucre. Aujourd’hui, la réorganisation annoncée du secteur est liée au contexte économique. « La suppression des quotas sucriers en 2017 a permis aux entreprises de s’ouvrir au marché mondial, développe Bruno Hot. Les surfaces de betteraves ont bondi de 16 % dans l’UE. Mais la hausse de la production de sucre s’est faite dans tous les pays européens même ceux non compétitifs. Les soutiens artificiels, que sont les aides couplées, maintiennent des usines pas forcément compétitives. » B.C. et I.E.
(1) Lire La France agricole du 1er mars 2019, p. 21.
(2) Syndicat national des fabricants de sucre.
(3) Organisation mondiale du commerce.