Par un beau matin de septembre 2028, Pierre, céréalier dans la Marne, s’installe à la table du petit déjeuner. Son assistant robotisé, Vince.net, lui apporte son café et ses tartines. Pierre lui demande plus de sucre et le serviteur robotisé lui passe le sucrier qui est au bout de la table. Il y a pourtant une boîte de sucre dans le placard, mais Vince.net sait qu’il est plus rapide de prendre le sucrier, qui est encore plein à 72 %.

« Des nouvelles intéressantes ? », demande l’exploitant. L’assistant comprend qu’il doit trouver l’actualité qui correspond aux centres d’intérêt de Pierre. Il commence donc par les résultats du rugby, puis la météo. Comme il cherche toujours à évoluer et à proposer des nouveautés, il tente une information sur la semaine de la mode. « Ne m’embête pas avec ça, ça ne m’intéresse pas », l’interrompt Pierre. C’est enregistré, Vince.net ne lui parlera plus de ce sujet et reprend son fil d’actualité.

Multiplier les sources

Le prochain sujet parle d’un rendement de blé record. Pierre a un doute et demande à son assistant robotisé de vérifier cette information. En deux secondes, Vince.net a retrouvé un article de La France agricole, datant de 2017, qui donne raison à l’agriculteur.

Ce dernier ne se sent pas très bien ce matin et son bracelet connecté indique une baisse de tension. Vince.net reçoit la notification et apporte la boîte de médicaments à notre céréalier, qui reprend rapidement des couleurs.

Il est 7 heures et le robot rappelle qu’il est temps d’aller semer comme prévu, car la météo est favorable. Pierre se rend dans sa cour où vient le chercher son tracteur autonome attelé au semoir, prévenu du départ imminent par Vince.net. Dès que l’agriculteur s’installe aux commandes, le tracteur l’informe que, selon les relevés des sondes connectées, la parcelle la plus ressuyée est la numéro 2 et qu’il attend la validation pour prendre la direction de ce champ.

Ce début de journée d’un agriculteur en 2028 est basé sur la simulation du robot-serviteur Toi.net, d’Inria (Institut national de recherche dédié aux sciences du numérique). S’il peut paraître totalement utopique, ce scénario emploie pourtant des technologies qui existent déjà.

Combiner les solutions

Toutes ces assistances techniques sont le fruit du développement de l’intelligence artificielle (IA) et de ses deux domaines : le machine learning (apprentissage machine) et le deep learning (apprentissage profond). C’est grâce aux progrès constants dans ce domaine que Vince.net est en mesure de comprendre les demandes de l’exploitant, d’effectuer de la reconnaissance faciale, d’identifier des objets et de réaliser de la planification automatisée.Avec le machine learning, le tracteur de Pierre est capable d’atteler l’outil qui correspond aux travaux planifiés pour la journée. Il est également apte à interroger les différents capteurs connectés pour déterminer sur quelles parcelles les interventions doivent être faites en priorité. Il pourra analyser les préférences de Pierre, comme le fait de réaliser des fourrières larges, pour les programmer ensuite dans le logiciel de guidage. Le principe du machine learning est que le tracteur apprend tout en cherchant à améliorer les résultats par rapport à ceux attendus.

Le deep learning est le domaine le plus élaboré de l’IA et celui qui offre le plus de perspectives de développement. Il utilise une architecture informatique comparable à celle du cerveau humain avec un réseau de neurones. Le robot est capable de décomposer un problème en différents niveaux d’abstraction. Il adapte en permanence et de façon instantanée son comportement au profil de son propriétaire et à ses exigences. C’est aussi grâce au deep learning qu’il peut aller vérifier des informations sur différentes sources.

Applications concrètes

L’IA est déjà une réalité en agriculture. Dans son étude d’opportunité sur le deep learning, la chaire AgroTIC, de Montpellier SupAgro, estime que le marché mondial de l’IA en agriculture se situait autour de 518,7 millions d’euros en 2017 et devrait se développer de plus de 22,5 % par an, pour atteindre 2,6 milliards d’euros en 2025.

Les domaines qui connaissent la plus forte croissance dans le secteur agricole sont la surveillance continue et l’analyse de la santé des cultures. En France, l’application en vogue est l’assistant vocal intelligent. Celui d’Isagri a la capacité d’interroger plusieurs sources pour répondre à une question. De son côté, Hubixeo, d’Adventiel, s’adresse plutôt aux éleveurs et à la gestion des troupeaux. Les autres applications, prêtes à être commercialisées, concernent la maintenance prédictive des matériels et la classification de l’occupation des sols, qui pré-remplit la déclaration Pac.

Géants de l’informatique et du web s’en mêlent

Les perspectives alléchantes du développement de l’IA en agriculture n’ont pas échappé aux géants de l’informatique et du web. Microsoft a ainsi identifié le domaine comme l’un des cinq secteurs stratégiques de développement de ses solutions. Sa filiale française vient d’annoncer un partenariat avec InVivo, et l’entrée du groupe coopératif au sein de son projet Innovation IA. Ce partenariat avec Microsoft s’inscrit dans la stratégie d’InVivo, visant à devenir un acteur majeur de l’AgTech.

Du côté de la Chine, le roi du e-commerce AliBaba s’intéresse de près au secteur agricole. Il propose un dispositif de reconnaissance vocale et faciale destiné aux porcelets.

En Corée, c’est dans l’élevage de poules que le géant de l’électronique LG investit pour développer un poulailler entièrement piloté par l’IA.

Un assistant,pas un remplaçant

Et l’agriculteur dans tout ça ? Paul-Henry Cournède, directeur du laboratoire MICS (systèmes complexes) de Centrale Supélec, est rassurant : « L’agriculteur sera incontournable, car la machine travaillera pour lui mais ne prendra pas les décisions à sa place. » Pour l’Inria, le risque majeur, à court terme, c’est de jouer à « l’apprenti-sorcier », c’est-à-dire donner la capacité à l’IA d’anticiper ce que veulent les utilisateurs au lieu d’interpréter littéralement leurs ordres. Et pour ceux qui doutaient de l’utilité de l’agriculteur au sein d’une exploitation utilisant l’IA, le « challenge concombre », réalisé récemment par l’université de Wageningen (Pays-Bas), devrait mettre tout le monde d’accord. Une serre connectée a été divisée en plusieurs parties, dont l’une a été confiée à l’agriculteur et les cinq autres à des équipes de mathématiciens pilotant la culture à partir de l’IA. Seule une équipe de scientifiques a obtenu de meilleurs rendements que l’agriculteur. « Cela prouve deux choses, se félicite Paul-Henry Cournède : que l’agriculteur reste incontournable et qu’il est toujours possible de faire mieux. »

Loris Coassin et Corinne Le Gall