Après le fort épisode de sécheresse qui a sévi depuis juillet, près de soixante-quinze départements seraient touchés par des pertes de production en fourrages, que ce soit concernant les prairies ou les cultures fourragères, comme le maïs ensilage. Malgré cela, « il est encore difficile de savoir combien pourront être reconnus sinistrés au titre des calamités agricoles et indemnisés par le fonds national de gestion des risques (FNGRA), s’inquiète Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA, en charge du dossier. Il y a un vrai problème d’éligibilité dans certaines zones compte tenu de la particularité de la sécheresse de cette année. » Jusqu’au mois de juin, personne n’aurait imaginé un tel épisode. La pousse de l’herbe a été proche de la normale, voire légèrement excédentaire. Mais de juillet à octobre, les agriculteurs ont consommé de cent vingt à cent trente jours de stocks de fourrage, faute de pluie. « Le besoin en fourrage sur l’année est multiplié par deux et nous craignons une forte décapitalisation en animaux », alerte Joël Limouzin. Les difficultés sur le terrain sont bien réelles.
Trop de bureaucratie
Didier Guillaume a annoncé, le 21 novembre, que seuls onze départements ont déposé leur dossier pour un examen lors du prochain comité national de gestion des risques (CNGRA), le 12 décembre. « Je trouve que c’est assez peu. Cela montre que ce n’est peut-être pas si catastrophique dans certains départements, et ça peut aussi souligner qu’il y a beaucoup de bureaucratie », s’est-il questionné. Dans les faits, les départements n’ont pas eu le temps de boucler leurs bilans fourragers et la préparation des dossiers est lourde. « Il faut attendre que la campagne soit terminée. En temps normal, on estime que la pousse de l’herbe s’arrête à la fin du mois d’octobre. Beaucoup de départements vont déposer leur dossier pour les comités de janvier et même de février », explique Marine Raffray, en charge des questions liées au FNGRA à l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA).
De leur côté, plusieurs Régions ont annoncé la mise en place d’actions spécifiques, comme en Auvergne ou en Bougogne-Franche-Comté. « Les Régions ont vu la nécessité d’aller vers des mécanismes plus souples et permettant de mobiliser des fonds plus rapidement dans les territoires », analyse Marine Raffray. Le ministre a pourtant promis des déblocages rapides. Des acomptes seront versés dès le dépôt des dossiers individuels, à hauteur de 30 % pour ceux en papier et jusqu’à 50 % pour les exploitants ayant déposé leur demande en ligne sur Telecalam. Dans le meilleur des cas, pour les départements dont la reconnaissance sera validée en décembre, les premiers acomptes aux agriculteurs pourraient intervenir en janvier 2019. Est-ce assez rapide pour limiter la décapitalisation du cheptel ? Rien de moins sûr.
Ajuster les calculs
Il faut se faire une raison, les modalités d’accès au fonds de gestion des risques ne sont plus adaptées. Les difficultés se posent à deux niveaux. En premier lieu, dans certaines zones comme le Grand- Est, les départements peinent à justifier d’un déficit de production d’au moins 30 %. Les calculs s’effectuent à partir de barèmes départementaux théoriques et sont basés à 70 % sur la pousse de printemps, qui a été plutôt bonne cette année. Ils ne tiennent pas compte de la consommation des stocks très importante depuis le mois de juillet. La production de maïs fourrage peut aussi être pénalisante dans certains cas. Une trentaine de départements pourraient ainsi être exclus du dispositif, craint-on à la FNSEA.
D’autre part, à titre individuel, l’obligation d’atteindre une perte de produit brut d’au moins 13 % est limitante. Les exploitants ayant diversifié leurs productions pour rendre leurs structures plus résilientes sont souvent exclus du dispositif. De même, les éleveurs qui assurent leurs prairies ne peuvent pas bénéficier du FNGRA. Alors que l’accès au fonds de gestion des risques devrait être « un bonus » pour ceux qui sont assurés, estime-t-on sur le terrain.
Engager une réflexionde fond
Lors d’échanges avec les présidents de chambres d’agriculture, le 29 novembre, Didier Guillaume a évoqué l’hypothèse d’utiliser les données de pousse de l’herbe fournies par Airbus (voir carte ci-contre), qui semblent plus favorables pour évaluer les taux de pertes. « Il faudrait, dès à présent et à titre exceptionnel, adapter les modalités de calcul d’accès au fonds. Quitte à prendre ensuite le temps d’avoir une réflexion plus globale sur la politique de gestion des risques », espère Joël Limouzin, qui a formulé une demande dans ce sens auprès du ministère de l’Agriculture. La nécessité d’inciter les agriculteurs à s’assurer, ainsi que la mise en place d’une vraie politique de stockage de l’eau, ont également été évoquées à plusieurs reprises. « Le ministre semble avoir entendu nos doléances », concède-t-on à l’APCA. Il faudra attendre le 12 décembre et l’examen des premiers dossiers en CNGRA pour connaître le verdict du ministère.
Marie Salset