Sur les bancs de l’école, se livre une guerre d’influence pour gagner l’adhésion des jeunes cerveaux malléables. L’école devient-elle le nouveau terrain de chasse des antispécistes et autres idéologues ? On pourrait le craindre en découvrant les « mallettes pédagogiques » distribuées gratuitement par l’association L214 aux enseignants pour « l’éducation à l’éthique animale » et la « défense des animaux ». Leur site education.l214.com propose posters, vidéos, livret sur les « alternatives pour l’agriculture », ainsi que des animations en classes par des membres de l’association.
Depuis la rentrée 2017, la vingtaine d’établissements scolaires les ayant invités figurent comme « références » sur leur site. En janvier, deux classes du lycée Aragon à Héricourt, en Haute-Saône, auraient aussi bénéficié des animations de L214, si le président de la chambre d’agriculture du département n’était intervenu. Averti par un parent d’élève, Thierry Chalmin a aussitôt interpellé l’inspecteur d’académie et le préfet pour faire barrage « à un discours à charge contre l’élevage, sans possibilité de débat contradictoire ». La justesse de ses arguments (ou la menace de la mobilisation des éleveurs ?) a eu l’effet escompté : la professeure à l’initiative de l’indésirable intervention a été priée d’annuler.
Neutralité attendue
Faut-il craindre que d’autres de ses collègues, séduits par le lobby, les invitent dans leurs classes ? Selon une inspectrice d’académie interrogée, l’enseignant qui trouverait un intérêt pédagogique à faire participer des intervenants extérieurs a des consignes strictes : « Tenir un discours neutre et dépassionné, éviter toute propagande, donner des explications factuelles, et enfin garantir la neutralité du service public. » Et si jamais des convictions personnelles l’amenaient à dévier de la neutralité ? « Le directeur d’école peut mettre son veto. » En cas de doute, l’inspecteur de l’Éducation nationale et les parents d’élèves peuvent aussi servir de garde-fous. Sachant que l’appréciation d’un possible lobbying est parfois délicate. « Il existe des politiques différentes selon les académies, entre choses autorisées, tolérées et interdites », nous confie une professeur des écoles.
La vigilance est de mise, d’autant que l’influence des très actives associations environnementales s’étend. Greenpeace lance régulièrement des pétitions contre les « lobbies de la viande et des produits laitiers » à la cantine. Générations Futures co-organise avec la FCPE, première fédération nationale des parents d’élèves, des concours de dessin (« Mon jardin au naturel » en 2017, « La santé dans l’assiette » en 2018). Fin mai, des parents d’élèves et des détracteurs de l’agriculture conventionnelle, promue par la coopérative Triskalia, ont fait annuler la sortie prévue ce 14 juin pour 500 enfants (lire ci-contre).
Les « lobbies » agricoles toujours influents
Pour autant, les fermes pédagogiques connaissent le plus grand succès auprès des scolaires. Les réseaux Accueil paysan et Bienvenue à la ferme s’organisent pour faire découvrir les animaux, montrer le lien entre la vache et le lait, le blé et la baguette…
Chaque printemps, les portes ouvertes se multiplient et chaque syndicat mobilise les énergies de ses adhérents pour communiquer auprès du grand public et des écoles : « De ferme en ferme » du réseau Civam, « Fête paysanne » de la Confédération paysanne, les réseaux de l’agriculture biologique, ou « Fermes ouvertes » à l’initiative de la FNSEA et de ses partenaires. Fin mai, l’opération « Fermes ouvertes » a touché 3 000 classes, soit 75 000 élèves dans 42 départements, et près d’un million d’enfants depuis trente ans que la manifestation existe. Dans le cadre scolaire, les visites d’exploitation doivent être inscrites dans le projet éducatif de la classe, présentées au conseil d’école et dans le carnet de liaison (et donc aux parents). De nombreux supports pédagogiques sont fournis par les interprofessions : le Cniel pour les produits laitiers, Interfel (1) pour les fruits et légumes frais, Passion céréales, Interbev et la viande, etc. Ce matériel éducatif distribué se veut purement informatif, dans la droite ligne du programme national nutrition santé (PNNS), même s’il est parfois contesté par les lobbies de l’autre bord… En tout cas, l’inspection d’académie de la Marne n’y trouve rien à redire, puisqu’elle relaye elle-même l’opération « Fermes ouvertes » auprès de toutes les écoles primaires.
Pour faire contrepoids aux lobbies, la profession ne doit pas relâcher ses efforts : « Il faut aller à la rencontre des enseignants et ouvrir les portes de nos exploitations aux élèves, encourage Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, qui rêve que chaque village ait sa ferme ouverte. C’est le meilleur moyen d’éviter les attaques qui sont souvent le fait de l’ignorance. » Sans oublier que les enfants seront des ambassadeurs auprès de leurs parents. Autant rétablir quelques vérités sur ce qui se passe réellement sur les exploitations, dans un monde de plus en plus urbain.
(1) Interfel n’a pas obtenu l’agrément du ministère de l’Éducation pour faire intervenir son équipe de 18 diététiciens dans les écoles.