C’est le printemps : les arbres bourgeonnent, les oiseaux chantent et les abeilles butinent. Enfin… Cette image d’Épinal s’est quelque peu ternie avec les populations d’abeilles qui « ont pris un coup dans l’aile ». Depuis le début des années 1990, il n’est pas rare que des apiculteurs accusent des pertes annuelles de 60 % de leur cheptel, là où la mortalité moyenne est normalement plus proche de 5 à 10 %. Pourtant, en pollinisant les plantes à fleurs, les butineuses garantissent la reproduction de nombreuses espèces végétales. Pas moins d’un tiers de l’alimentation mondiale dépendrait de cette pollinisation – sans abeilles, pas de tomates, de courgettes, de fraises, de pommes… Un service environnemental que l’Inra a évalué à 153 milliards d’euros par an dans le monde.
L’utilisation de certains produits phytosanitaires est évidemment montrée du doigt comme origine de ce déclin. Cela a même abouti au retrait des néonicotinoïdes, prévu au plus tard au 1er juillet 2020 en France. Trois de ces substances actives sont aussi sur la sellette sur le restant du territoire européen (voir FA n° 3737 du 9 mars, p. 17). Mais plus généralement, l’application des spécialités phytosanitaires doit se faire dans le respect des abeilles en suivant notamment l’arrêté « mention abeille » du 28 novembre 2003 (voir encadré ci-dessous).
Multifactoriel
Les études ont toutefois démontré que la mortalité est multifactorielle. Les phytos sont loin d’être les seuls responsables. Diverses autres causes ont été identifiées, au rang desquelles des maladies ou parasites des abeilles (varroa, fausse teigne, frelon asiatique, nosema…). Ils nécessitent des traitements spécifiques de la part des apiculteurs. Par exemple, en fonction de la stratégie adoptée pour lutter contre le varroa, l’impact sur le cheptel de l’acaricide employé pourra être important.
Les affres du climat (sécheresse, alternance de froid et de chaud, comme actuellement) ont également des retombées majeures sur les abeilles. La disette alimentaire est un autre facteur clef d’explication de leur mortalité. « Elle peut toucher une colonie en juin et avoir des répercussions des mois plus tard », a insisté lors du Salon de l’agriculture Axel Decourtye, directeur scientifique et technique de l’Itsap - Institut de l’abeille. Ainsi, les apiculteurs se voient obligés d’apporter du sucre pour les maintenir en vie. En effet, les colonies n’ont pas de réserves suffisantes pour passer l’hiver.
Pour certains, ce manque de ressources serait lié à un nombre de ruches trop important, dimensionné pour le colza notamment. En dehors de la floraison de cette crucifère, les ressources ne seraient donc plus suffisantes. Mais le manque de diversité en pollen est aussi un problème. « Les abeilles savent stocker du pollen et du nectar, stipule Éric Lelong, président de la commission apiculture de la FNSEA. Le problème, c’est qu’il leur faut un bol alimentaire équilibré et varié pour renforcer leurs défenses immunitaires et ainsi leur permettre de survivre. »
Heureusement, des partenariats « gagnants-gagnants » se créent entre cultivateurs et apiculteurs. Ils aboutissent à des échanges constructifs permettant de comprendre les contraintes des uns et des autres et ainsi de travailler de concert. Parmi les plus emblématiques, ceux entre agriculteurs multiplicateurs et les apiculteurs. Mais çà et là, d’autres projets ont vu le jour comme Agrapi (lire témoignage ci-contre) ou encore le programme Poll’Aisne Attitude (02). Ce dernier apporte une meilleure connaissance de la vie des abeilles et du rôle fondamental de la pollinisation aux agriculteurs. Ils ont en conséquence fait évoluer leurs pratiques et implantent des ressources favorables aux pollinisateurs, comme des haies composées d’essences mellifères. Portés par l’association Symbiose (Marne), d’autres exploitants se sont engagés dans le projet Apiluz. Ils laissent une bande de luzerne non-fauchée dans leur parcelle pour augmenter la disponibilité des ressources alimentaires…
Miser sur les SIE
Si, localement, les initiatives ne manquent pas et vont dans le bon sens, elles ne sont malheureusement pas suffisantes. À plus grande échelle, des cultures intermédiaires mellifères peuvent pallier ce manque de ressources, notamment en zone vulnérable. En effet, le besoin en alimentation diversifiée s’accentue à l’approche de l’hiver.
La profession a aussi œuvré pour que les jachères de plantes mellifères soient valorisables dans les 5 % de SIE (Surfaces d’intérêt écologique). Avec un mélange d’au moins cinq espèces, l’interdiction d’utiliser des produits phytosanitaires et un coefficient incitatif (1 ha = 1,5 ha de SIE), la réglementation apporte alors une réelle opportunité d’avoir une offre diversifiée pour les abeilles domestiques comme les abeilles sauvages, sur les zones de grandes cultures souvent plus pauvres.