Avant même que le Royaume-Uni décide de se retirer de l’Union européenne, les finances de la Pac étaient sous pression. Le premier budget de l’UE (38 % de ses dépenses) est scruté dès qu’il s’agit de trouver des économies à faire. Les priorités montantes (lutte antiterroriste, crise migratoire…) entraînant de nouveaux besoins de financement, une amputation du budget de la Pac était déjà à prévoir. Le Brexit ne fait qu’enfoncer le clou ! Et même si le cadre financier pluriannuel ne sera fixé qu’en mai 2018, la tendance semble à l’austérité.
C’est sous cette épée de Damoclès que les services de la Commission ont planché sur l’après-2020. Même si Phil Hogan minimise l’ampleur de la réforme en martelant qu’il « s’agit d’une évolution et non d’une révolution », la contrainte budgétaire oblige à des bouleversements. L’architecture globale en deux piliers est conservée, et la nécessité de soutiens directs au revenu des agriculteurs est réaffirmée. Cependant, leur ciblage pourrait évoluer vers de nouvelles priorités. Vers une Pac plus verte, plus équitable, plus sociale… Bref, plus conforme aux vues de la société, et donc plus facile à défendre à l’heure de négocier le budget. Plafonnement, dégressivité ou redistribution des aides, ciblage vers les agriculteurs « vraiment actifs »… Ces propositions poursuivent un double objectif : rendre la Pac moins coûteuse, mais aussi plus légitime.
Flou délibéré
La communication du commissaire Hogan sur le « Future of Food and Farming » (« L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture ») est délibérément vague. D’une part, le cadre budgétaire n’est pas connu. « Aucun chiffre officiel ne circule », nous assure-t-on à Bruxelles. La direction de l’agriculture planche sur divers scénarios, « par exemple 10 % de baisse, mais aussi des baisses plus substantielles ». D’autre part, les analyses d’impacts des différentes options sont en cours. Bruxelles veut éviter toute levée de boucliers anticipée. Tous les chiffres qui avaient pu apparaître dans les premières versions du texte, avant sa publication, ont donc été effacés. Et dans les bureaux de la DG Agri, à Bruxelles, les discours, prudents, ne s’éloignent pas de la communication officielle. Plafonnement ou dégressivité des aides, cofinancement du premier pilier… « Toutes les options sont sur la table », se borne-t-on à répéter. Quant à savoir où sera placé le curseur – si elles sont retenues : « Tout dépend de l’issue des négociations budgétaires ».
Pas de renationalisation
Sur les grands principes, un fort consensus se dégage pour préserver un cadre d’actions commun. La renationalisation tant redoutée de la Pac n’est pas dans les projets de la Commission, rassure Phil Hogan. Cependant, diverses propositions font craindre de plus en plus de distorsions de concurrences au sein de l’Union. C’est pourquoi l’idée de cofinancer les aides du premier pilier sur les budgets nationaux a été fraîchement accueillie par le Conseil des ministres de l’Agriculture, le 11 décembre. Pour se positionner sur les autres mesures, les États membres attendent des précisions de la Commission, qui attend elle-même des précisions sur le cadre financier. D’ici là, la France « cherche des alliés », déclare Stéphane Travert, mais sans avoir tranché sur ce qu’il faudra défendre.
Pour les aides directes, la position de Bruxelles, que la France fait sienne, est de « cibler les exploitations de type familial ». Une notion qui « ne veut pas dire la même chose au sud ou à l’est de l’Europe », souligne-t-on rue de Varenne, où l’on « attend que la Commission dévoile sa proposition, pour voir ensuite comment on la règle ». Car le ciblage peut se faire via trois mécanismes : plafonnement, dégressivité et/ou redistribution.
Rien de neuf, puisque tous trois existent dans la programmation actuelle. Mais leur portée a été limitée. Cinq États, dont la France, ont pu être exemptés du mécanisme obligatoire de réduction des aides (par plafonnement ou dégressivité au-delà de 150 000 €) car ils avaient choisi de redistribuer un montant au moins égal à 5 % de leur enveloppe vers des exploitations familiales. Pour les 23 États membres qui l’ont appliqué, vu la faiblesse du taux de réduction (5 % minimum) et la hauteur des plafonds, le mécanisme de réduction des aides a porté sur moins de 0,5 % de l’enveloppe… Dans les scénarios à l’étude, les mécanismes seraient cette fois obligatoires pour tous les États membres. Mais quelle sera leur ampleur ?
Alors qu’elle met la pression sur les aides directes, la Commission veut faire monter en puissance d’autres types de filets de sécurité, principalement en renforçant l’attractivité des instruments de gestion des risques.
À côté de l’incertitude sur les aides, plane le flou sur la nouvelle organisation pressentie, qui laisserait aux États la bride sur le cou – ou presque – concernant le verdissement et la conditionnalité. Partant du constat largement partagé que le système actuel est trop complexe, inadapté à la variété des situations et finalement inefficient, la Commission propose aux États de faire mieux qu’elle. Elle fixera les grands objectifs communs ; chaque État se fixera des objectifs intermédiaires adaptés à sa situation. Il les présentera dans un plan stratégique que Bruxelles validera avant de débloquer une enveloppe budgétaire. Il sera ensuite responsable de l’atteinte de ces objectifs. En espérant que la peur de la sanction n’incite pas à l’excès de zèle…
Vers une simplification ?
Bruxelles ne donne aucun détail sur le catalogue de mesures qui sera discuté avec les États. Des reliques du verdissement pourront subsister sous une forme ou l’autre. Il n’est pas exclu que les aides à l’investissement soient conditionnées au respect d’exigences environnementales.
Ce principe de subsidiarité renforcée laisse Paris « circonspect ». Côté positif, on note une possible simplification des contrôles grâce à la télédétection pour juger des résultats obtenus. On estime aussi que la prise en compte d’objectifs globaux à l’échelle de l’État membre aurait plus de sens que de prendre des décisions de refus d’apurement des comptes en s’appuyant sur « des microdétails ». Enfin, on veut y voir une opportunité pour introduire des « Paiements pour services environnementaux ». Mais en attendant plus de détails, la France est surtout vigilante face au risque d’une Europe à plusieurs vitesses.
Reste le parent pauvre de la communication de Phil Hogan : les mesures de marché. La Commission réaffirme sa foi dans la « poursuite de la libéralisation des échanges » afin de « développer encore les exportations ». Quant à savoir si des instruments de régulation subsisteront, elle est peu loquace. Ce sujet « sensible » est discuté, nous fait-on savoir. La France, de son côté, souhaite « des filets de sécurité adaptés à chaque filière, qui pourraient, dans certains cas, être des outils de régulation ». S’il est délicat de négocier un budget fort pour financer des interventions et du stockage, mettre en place des politiques de régulation des volumes, nettement moins coûteuses, pourrait être une option…
En fin de compte, l’actualité budgétaire et politique (avec le retrait du Royaume-Uni) fournit le contexte pour tenter une vraie réforme de la Pac. Mais ce ne peut être fait dans l’urgence, comme le calendrier « normal » l’imposerait.