Le 1er octobre prochain sonne la fin des quotas sucriers dans l’Union européenne (UE). Si cette échéance est connue depuis déjà de longs mois, on entre maintenant dans le vif du sujet. Les fabricants de sucre, qui ont massivement investi dans leurs usines pour renforcer leur compétitivité et lutter contre la concurrence (1), se disent plutôt sereins. « Nous nous y préparons depuis longtemps », appuie Thierry Lecomte, président du Conseil de surveillance de Tereos qui prévoit un potentiel de rendement supérieur de 8 % à la moyenne sur cinq ans. « Des perspectives très positives pour aborder la première campagne betteravière post-quotas », soutient le groupe coopératif. Même son de cloche chez Saint Louis Sucre et Cristal Union. « La baisse actuelle des cours mondiaux du sucre complique un peu la situation », reconnaît toutefois Alain Commissaire, directeur général de Cristal Union, qui va réduire la voilure sur ses investissements de l’an prochain. « À moyen terme, les perspectives sont meilleures car l’équilibre production/consommation s’annonce correct », tempère Thierry Desesquelles, directeur betteravier chez Saint Louis Sucre.
Chasse aux hectares
Les trois fabricants mettent en avant les opportunités que la fin des quotas apporte pour consolider la filière betteravière. La libéralisation du marché du sucre va en effet leur permettre d’exporter sans limitation sur le marché mondial. La France devrait ainsi exporter pas moins de 15 % de son sucre hors UE, contre 6 % auparavant.
« Cette liberté retrouvée sur les marchés pose des exigences en termes de compétitivité de la filière », analyse Pierre-Emmanuel Bois, directeur général de la CGB (2). Les sucriers sont donc allés à la chasse aux hectares de betteraves pour pouvoir augmenter leur production de sucre. En moyenne, les surfaces de betteraves ont progressé de 20 % en France (jusqu’à 30 % dans certaines régions). Cette augmentation est surtout le fait des planteurs historiques (lire encadré ci-dessous), mais pas seulement. Ils sont environ un millier de nouveaux planteurs, selon la CGB, à avoir décidé d’intégrer la betterave dans leur assolement. Certains après l’avoir abandonnée lors de la réforme de 2006 (par choix ou par contrainte car trop éloignés de la sucrerie), d’autres en l’introduisant pour la première fois.
C’est le choix réalisé par Dorothée Frisch-Gautier, agricultrice avec son père à Brevonnes et à Fresnoy-le-Château (Aube). Elle a implanté 38 ha de betterave cette année (8 % de la sole), essentiellement pour des raisons agronomiques. « Je cherchais une autre tête d’assolement que le colza et le maïs. Et je souhaitais réduire le maïs qui représentait 30 % des surfaces de l’exploitation, mais pour lequel il y a un vrai problème économique », explique-t-elle. Sa crainte : après le 15 octobre, il lui est impossible d’arracher dans ses terres très humides limono-argileuses. « C’était la condition de notre engagement dans la betterave, confie Dorothée. Alors quand nous avons eu le planning qui prévoyait un arrachage en novembre, il nous a fallu discuter avec Cristal Union pour avancer la date. »
Durée de campagne
L’allongement des campagnes est une source d’inquiétude pour les planteurs. Pour diminuer les charges fixes de leurs usines, les sucriers ont commencé à travailler les betteraves plus tôt que les années précédentes, le 11 septembre en moyenne, et termineront plus tard, jusqu’à fin janvier 2018, afin de traiter les betteraves supplémentaires. En moyenne, les campagnes devraient durer 125 à 140 jours ! Des indemnisations sont prévues par les sucriers pour compenser les pertes de rendement liées à un arrachage précoce et tardif. « Mais nous n’avons pas de recul sur l’évolution de la conservation des betteraves jusqu’à la fin du mois de janvier, exprime Benoît Carton, directeur régional de la CGB, en Normandie. Nous avons déjà réalisé des essais, mais il nous faut d’autres données pour accompagner les planteurs. La question est de savoir si les curseurs des barèmes d’indemnisation sont bien positionnés. »
Autre préoccupation pour les betteraviers : l’interdiction des néonicotinoïdes à échéance de 2020 et l’épée de Damoclès sur le glyphosate. De même, le Brexit pourrait mettre à mal le débouché du sucre et du bioéthanol français vers le Royaume-Uni. « Cela correspond à 10 % de la surface betteravière française, chiffre Pierre-Emmanuel Bois. C’est donc quelque chose qui peut peser sur la filière. » Tout comme le projet de directive européenne réduisant à 3,8 % la part des biocarburants conventionnels dans les transports en 2030.
Mais c’est bien la forte volatilité des prix du sucre qui suscite le plus de craintes chez les planteurs. Depuis le printemps dernier, le marché mondial montre des signes de faiblesse après avoir grimpé début 2017. « Mais prévoir ce que sera le prix du sucre en 2018 est très difficile », prévient Emmanuel Pigeon, directeur régional (Aisne, Aube, Nord-Est et Yonne) à la CGB. « C’est le complément de prix qui dira si le contrat est bon ou pas, signale Benoît Carton. En Normandie, les surfaces de betteraves devraient rester stables l’an prochain. Un arbitrage plus fin aura lieu en 2019 quand tout le monde aura fait ses comptes. Si la répartition de la valeur n’est pas équitable, le planteur réduira ses surfaces au profit d’autres cultures comme le lin ou la pomme de terre. » La CGB travaille à la mise en place d’un instrument de stabilisation des revenus (ISR). « Il est déjà prévu dans la Pac actuelle, explique la CGB, mais nous demandons qu’il évolue pour qu’il soit vraiment opérationnel. » Des discussions sont en cours dans le cadre du règlement omnibus. Le syndicat demande notamment que l’ISR soit déclenché à 20 % de perte de revenus (au lieu de 30 % actuellement). « La filière laitière y réfléchit aussi, car ce système fonctionne quand la valorisation du produit se situe dans la transformation », explique Pierre-Emmanuel Bois.
(1) Lire La France agricole n° 3664 du 14 octobre 2016, p. 44.
(2) Confédération générale des planteurs de betterave.