Seules les compétences guideront la formation du gouvernement, avait prévenu Emmanuel Macron lors de son élection. À quelques approximations près.
Pour appuyer la recomposition politique en cours en vue des législatives, l’équilibre des forces entre droite, gauche et centre a aussi beaucoup joué sur les nominations. Notamment sur celle de Jacques Mézard au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.
L’hyper-rural
Personne n’attendait le sénateur du Parti radical de gauche à ce poste. Pas même lui : « J’ai été surpris, a-t-il admis au lendemain de l’annonce. Car je ne suis pas de ceux qui font le pied de grue pour avoir un maroquin. » C’est vrai qu’à bientôt 70 ans, ce Cantalien est apparu d’emblée décalé par rapport à la ligne fougueuse et « porteuse d’un message nouveau » défendue par le jeune et ex-banquier Macron. À moins que Jacques Mézard n’incarne l’image que le chef de l’État se fait de l’Agriculture.
Le sénateur se décrit avant tout comme un « élu des territoires » qui connaît le monde rural, « même hyper-rural comme [son] département » et qui l’aime, a-t-il précisé, jeudi 18 mai, lors son premier discours aux chambres d’agriculture. Pour mieux le prouver, il est allé jusqu’à ironiser sur « les bobo parisiens qui ignorent ce qu’est un rat taupier ».
Sauf que l’avocat, qui a exercé pendant 38 ans à Aurillac, n’a jusqu’à présent pas fait preuve de grands égards pour le monde agricole. Il est avant tout un homme de loi, membre de la commission dédiée au Sénat et ancien bâtonnier. Il présente aussi l’avantage, décrit son entourage, d’être pragmatique, constructif et efficace : travailleur, il sait écouter et taper du poing sur la table quand c’est nécessaire, affirme-t-il.
Mais tous ces atouts ne parviennent pas à faire oublier l’essentiel : il lui manque la dimension européenne. Raison pour laquelle il s’est fait représenter, les 22 et 23 mai à Malte, au conseil informel des ministres de l’Agriculture européens. « Dans tous les dossiers, ce qui compte, c’est de travailler, et je suis capable de travailler », s’est défendu Jacques Mézard.
Sa seule volonté suffira-t-elle ? Le doute est permis, d’autant plus qu’au sein du gouvernement, un autre a déjà des idées bien tranchées sur tous les sujets agricoles : Nicolas Hulot.
L’hyper-écologiste
Le ministre de la Transition écologique et solidaire a obtenu un ministère d’État, la place de numéro 3 du gouvernement, et aura aussi « son mot à dire sur l’agriculture, l’industrie et la fiscalité », a déclaré Pascal Canfin, le directeur général du WWF, l’un des artisans de son arrivée au gouvernement. Il ira « sur tous les sujets qui le concernent ».
Ce qui a pour l’instant le don d’amuser le flegmatique Jacques Mézard : « Je n’ai pas une réputation d’écologiste. Mais je sais que nous allons pouvoir travailler ensemble. Il n’y aura pas d’a priori. C’est un homme de dialogue. »
La présidente de la FNSEA a cependant déjà averti « attendre du ministre de l’Agriculture qu’il soit un interlocuteur « actif et exigeant » vis-à-vis du ministère de l’Environnement. Ce qui n’a pas toujours été le cas. Il faut que sur les grands sujets agricoles avec des problématiques environnementales, il affirme aussi les intérêts économique, social, sociétal et territorial. Je veux parler de l’irrigation, mais pas seulement. »
Bras de fer sur les prix
Mais dans un premier temps, Jacques Mézard devra se prononcer sur le plus urgent : les retards de paiement des aides et le soutien à apporter aux agriculteurs touchés par le gel. « Ne me demandez pas de faire pousser l’argent », a-t-il cependant prévenu. Le plan de modernisation des exploitations de 5 milliards d’euros, pris sur le budget de l’État, attend aussi son arbitrage.
Il devra encore s’affirmer sur le volet de la simplification des normes. Un texte de loi sera présenté en juin au Conseil des ministres, avec le principe du « droit à l’erreur », qui pourrait se traduire par un rappel à la réglementation, avant l’éventuelle sanction.
Autre chantier attendu et qui divise déjà : les États généraux de l’alimentation, visant à mieux répartir la valeur entre les producteurs, les transformateurs, les distributeurs et les consommateurs. Les écologistes, comme Pascal Canfin, ont prévenu : « Si Nicolas Hulot parvient à une participation forte des Français sur ce dispositif des États généraux, au-delà du cercle des agriculteurs et de la FNSEA, on peut espérer des avancées notables sur le modèle alimentaire et agricole ». Pour Jacques Mézard, il n’y a pas de souci : « Qu’est-ce qui peut nous séparer ? Je souhaite que les Français aient une alimentation de la meilleure qualité possible, et qu’elle provienne, le plus souvent, de producteurs français. Pourquoi Nicolas Hulot serait-il en désaccord ? »
Le ministre de l’Agriculture cherche pour l’instant à apaiser. Il a prévenu être proche de Richard Ferrand, le ministre de la Cohésion du territoire. Il l’est aussi d’Audrey Bourolleau, l’ex-déléguée générale de l’association Vin & Société, nommée conseillère pour l’agriculture auprès du président de la République. Toujours pour rassurer, il a enfin rappelé ne pas être un ministre de passage : « Si les électeurs donnent la majorité au président, je crois pouvoir vous dire que je resterai ».