La première manche s’achève. Une carte correspondant aux zones soumises à contraintes « naturelles » (ZSCN) doit être présentée à la profession mi-décembre, puis transmise à Bruxelles. Sur ce premier zonage, issu de l’application des critères biophysiques européens, le ministère affirme avoir épuisé toutes ses marges de manœuvre. Mais plus de 4 600 communes sortent du classement. L’effet de seuil est impitoyable : l’une est dedans, sa voisine dehors…
La seconde manche se joue à présent. Le but est de dessiner des zones à contraintes « spécifiques » (ZSCS) englobant tous les bénéficiaires de l’ICHN restés sur la touche. En théorie, la France est large : les communes à réintégrer représentent 5 % de sa SAU alors qu’elle a le droit de classer jusqu’à 10 % de sa SAU en ZSCS. Il reste un an pour trouver des critères de classement objectifs et vérifiables. Comment ? « En testant tout ce qu’on peut tester… », indique-t-on au ministère.
L’herbe d’abord
Une première étape a été franchie le 23 novembre, avec la validation de trois critères (1) ciblant l’élevage herbager extensif. Ils ont permis de reclasser en ZSCS environ 1 700 communes à dominante élevage, notamment en Languedoc-Roussillon. Dans les secteurs récupérés, l’ICHN représente 10 000 à 15 000 € par exploitation, selon la FRSEA. Mais ces critères presque taillés sur mesure pour les herbagers d’Occitanie en laissent encore beaucoup sur le carreau. Et le fait qu’ils aient été décidés en comité restreint avec les FDSEA-JA d’Occitanie fait grincer des dents.
« Alors tout se passe en dehors du comité de pilotage ? », feint de s’étonner Bernard Lannes. Le président de la Coordination rurale admet la nécessité d’aider « la petite agriculture pour qu’elle continue à s’accrocher dans les zones difficiles ». Mais son syndicat reste volontairement en retrait. « Qu’ils se débrouillent en cogestion, ce n’est pas à nous d’assumer. S’ils veulent réduire les zonages pour faire des économies, nous ne participerons pas à cette rigueur budgétaire. »
Sous l’accusation, le ministère s’étrangle : « On cherche à sauver l’élevage partout ! Les seules communes qu’on ne cherche pas forcément à réintégrer sont celles où il n’y a plus d’élevage… ! »
Pour atteindre cet objectif, le critère herbager retenu pour l’instant ne suffira pas. « Dans certaines zones, l’élevage ne se maintient pas que grâce à l’herbe, rappelle Jean-Louis Cazaubon, élu en charge du dossier pour les chambres d’agriculture. Dans le Sud, il faut des cultures fourragères car il n’y a plus d’herbe après mi-août. D’autre part, la limite de chargement fixée à 1,4 UGB/ha exclut certains élevages de petite taille qui ne pourront pas survivre sans ICHN. »
C’est le cas en « Suisse normande ». « Ici, les exploitations sont petites, mais avec un chargement élevé, explique Anne-Marie Denis, de la FDSEA de l’Orne. Deux zones majeures d’élevage, difficiles à exploiter à cause des pentes et du climat froid, sortent du zonage. Or, on a déjà du mal à y installer des jeunes ! » Le critère « pente » étant réservé aux zones de montagne, la FDSEA envisage de regarder du côté des critères pédologiques, en effectuant des relevés de terrain. Le nouveau zonage est d’autant plus dur à comprendre que des secteurs non classés jusque-là, comme la plaine de Caen, y sont intégrés. « Ce n’est pas une zone d’élevage, donc elle touchera peu d’ICHN. Par contre, cela augmentera leurs aides à l’installation. Mais ce n’est pas difficile d’installer là-bas ! »
Pour Dominique Graciet, président de la chambre d’agriculture de la Nouvelle Aquitaine, « on est en train de condamner l’élevage en zone intermédiaire ! ». Il comprend qu’une grande partie des Landes, actuellement classée, ne le soit plus demain. « Ces zones ont surmonté leur handicap naturel grâce à l’irrigation. Mais on a demandé, sans succès, de classer une autre zone d’élevage très séchante où les projets de retenues collinaires sont bloqués. Si l’on fait sortir les secteurs qui ont corrigé leur handicap, on doit faire rentrer ceux qui ont toujours la contrainte, ou leur donner les moyens de la surmonter ! »
Mauvais ciblage
Avec 1,6 à 1,7 UGB/ha, les élevages de la Gâtine sortent aussi des clous. Actuellement, la moitié du département des Deux-Sèvres se trouve en zone défavorisée simple, soit 1 200 bénéficiaires touchant 6 millions d’euros d’ICHN. Les nouvelles cartes ne retiennent que 8 communes ! Julien Chartier, président départemental des JA, s’inquiète : « C’est dans ces zones défavorisées que l’on installait le plus de jeunes en élevage. Or sans ICHN, la DJA baissera de 5 000 €. Ce qui s’ajoute à la conjoncture difficile et à la baisse des DPB… » Les JA voulaient un classement par rapport à l’enjeu « renouvellement des générations ». Trop vague, il a été écarté. Julien aimerait « au moins changer le critère économique ! On calcule la PBS (production brute standard) sur une seule année : 2010. Or les résultats économiques se sont dégradés depuis ! »
Toute la profession s’accorde à dénoncer l’utilisation de la PBS/ha comme critère économique. Calculée à l’échelle de la petite région agricole, la production brute standard (PBS) reflète mal la situation difficile des éleveurs lorsque des productions spécialisées (arboriculture, élevage hors-sol…) gonflent les chiffres. Il semble impossible de se passer d’un critère économique pour caractériser les zones défavorisées, mais cet indicateur pourrait évoluer. L’utilisation de PBS partielles, en retirant les productions spécialisées, est à l’étude.
À la Confédération paysanne, on voudrait même descendre encore plus finement dans le découpage des zones défavorisées, en prenant en compte davantage de critères, par exemple l’empierrement. Quitte à ce que ce soit à double tranchant : « Même en montagne, tout est sanctuarisé, alors que certains secteurs désormais irrigués pourraient peut-être être déclassés, tandis que d’autres mériteraient d’être mieux aidés », suggère Josian Palach.
Morcellement
Le morcellement est un autre handicap reconnu. Mais si la taille des parcelles est un indicateur simple, l’éclatement du parcellaire est plus compliqué à mesurer. L’administration y travaille…
Deux autres enjeux ont été retenus par le ministère : la prévention des incendies et la préservation des zones humides. Dans le premier cas, il serait possible de s’appuyer sur les arrêtés DFCI (défense de la forêt contre les incendies). Dans le second, le Modef propose de s’adosser au zonage Natura 2000, combiné avec un critère de chargement. Mais la PBS risque encore d‘exclure beaucoup d’élevages… Autre sujet de réflexion au Modef : « Des indicateurs pour classer les zones de coteaux où seul l’élevage permet de garder le paysage ouvert ».
Le rôle paysager, patrimonial, voire social de l’élevage peut être une voie de salut… D’autant que nombre d’élus locaux et parlementaires français y sont sensibles. Les textes européens laissent la possibilité de classer en ZSCS des zones où l’activité agricole est menacée tout en étant indispensable pour différentes raisons : économique, sociale, environnementale, patrimoniale… Ainsi, c’est l’agropastoralisme qui a fait des Causses et Cévennes un patrimoine reconnu par l’Unesco. La richesse paysagère et culturelle de la France peut lui fournir des arguments pour convaincre la Commission.
(1) Chargement < 1,4 UGB/ha, minimum de 30 % d’herbe dans la SAU (40 % en comptant les prairies temporaires) et PBS < 90 % de la moyenne nationale