Suite aux fortes intempéries de la semaine dernière qui ont causé d’importantes inondations, en particulier dans le Centre Val de Loire et en Ile-de-France, l’heure est à l’évaluation des dégâts. Avec des cumuls de pluies supérieurs à 100 mm en une semaine (voir carte), éleveurs, producteurs de fruits et légumes, horticulteurs et céréaliers sont durement touchés. Certaines exploitations ont été submergées en totalité. Au pire moment, en particulier pour les maraîchers.

Asphyxie des plantes

En grandes cultures, les pluies sont arrivées sur des sols très humides, après un printemps fortement arrosé. Heureusement, la météo qui a suivi, pas trop chaude, a laissé le temps aux parcelles de drainer correctement. Il n’y a pas eu d’évaporation trop importante des parties aériennes des plantes, ce qui aurait posé problème avec des racines en anoxie.

Le sort des champs immergés pendant plus de trois jours est scellé, avec un rendement très fortement compromis. « Une perte de 1 000 à 1 500 €/ha selon la culture », estime la FNSEA. Cela représente cependant assez peu de surfaces au total.

Pour les cultures d’hiver non inondées mais situées dans des sols gorgés d’eau où les cumuls de pluies ont dépassé 50-60 mm, les conséquences sur le rendement et la qualité sont encore difficiles à cerner. Il faut donc rester prudent. Les blés tendres et blés durs devraient être plus impactés que les orges d’hiver et les colzas. Tout dépend du stade de la céréale et des conditions de drainage de la parcelle. Les céréales qui étaient en floraison ou au début du remplissage lors de l’épisode pluvieux sont les plus à risque. Ce qui était le cas en Beauce et au sud de l’Ile-de-France. « L’excès d’eau est assimilable à une sécheresse, souligne Arvalis. La culture ne peut plus assurer ses échanges respiratoires avec l’atmosphère, elle s’asphyxie. » Ainsi, les plantes réduisent voire arrêtent leur métabolisme. Or au moment de la fécondation et dans les quelques jours qui suivent, les grains en tout début de formation ont besoin d’être alimentés par la plante.

Autre conséquence : des céréales, dont la biomasse est élevée cette année, se sont couchées sous l’effet des trombes d’eau, notamment les orges d’hiver. « En Beauce, les sols engorgés ont perdu de leur cohésion et l’ancrage racinaire fait défaut. Des blés durs ont donc basculé », rapporte Jean-Charles Deswarte, spécialiste de l’écophysiologie chez Arvalis.

Risque de maladie accru

Ce qui inquiète le plus, ce sont les maladies du feuillage et de l’épi. « La situation est explosive », confirme-t-on sur le terrain. Les fongicides arrivent en fin de protection et la septoriose risque de monter à la faveur du temps humide et plus chaud. « Il a plu tous les jours pendant 8 jours, souligne un conseiller dans l’Essonne. Le risque de fusariose est important. » Tous les traitements contre cette maladie n’ont pas pu être effectués avant les pluies. Quelle sera l’efficacité des applications réalisées après, pas forcément au bon stade ? Pour les colzas, il y a un risque important de sclérotinia.

Le manque de rayonnement pourrait aussi impacter la production des céréales d’hiver. Là encore les parcelles en pleine floraison sont les plus à risque. « Nous avons eu dix jours sans rayon de soleil, détaille un opérateur dans le Centre. Ce qui pourrait engendrer 0,5 à 1 t/ha en moins à la collecte. » Le défaut de rayonnement a en effet un impact sur la fécondation des fleurs et la mise en place des grains.

Du côté des cultures de printemps, si les orges s’en sortent pas mal pour l’instant, ce n’est pas le cas de certains maïs, déjà en retard de végétation. Des parcelles entières sont partiellement sous l’eau et pas uniquement celles à proximité de rivières en crue. Au-delà de 48 heures de submersion totale, les chances de reprise de la culture sont infimes. Pour les autres parcelles, l’espoir persiste. Cela dépendra du développement de la plante et de la vitesse de décrue. « Une fois l’eau retirée, les plantes encore viables auront un développement ralenti et risquent d’exprimer des symptômes de jaunissement voire de rougissement », développe Arvalis. Le développement du mildiou est redouté. Une fois les sols ressuyés, un binage des parcelles est conseillé pour casser les croutes de battance et favoriser la reprise des plantes.

L’inquiétude grimpe. Les syndicats sont montés au créneau et réclament des solutions pour les agriculteurs sinistrés. Orama (syndicat des grandes cultures) dénonce « l’extrémisme réglementaire dont a fait preuve l’État ces dernières années en matière d’entretien des cours d'eau et des fossés ». Même son de cloche à la Coordination rurale, qui regrette que le drainage agricole fasse l’objet « d’un dénigrement et d’une obstruction de l’Administration, alors qu’il améliore les infiltrations d’eau dans le sol et réduit les ruissellements ».

Quelles indemnisations ?

Difficile à ce jour d’estimer les pertes de récolte. Mais si vous avez souscrit une assurance récolte multirisques climatiques pour 2016, faites « au cas où » une déclaration de sinistre à l’assureur sans tarder. Vous serez indemnisé si les pertes sont supérieures à la franchise (25 % en général) à la nature de récolte (et non pas à la parcelle). Attention, les assureurs ne couvrent pas les dégâts en zones classées « inondables ».

Une évaluation des dégâts est en cours pour que les préfets puissent demander la reconnaissance de l’état de calamitéagricole. Un calendrier de travail sera abordé au prochain comité national de gestion des risques (CNGRA) du 15 juin. Si l’état de calamité est reconnu, le Fonds national de gestion des risques FNGRA (ex - fonds des calamités) pourra intervenir. Attention, seules les pertes de récolte en arboriculture, maraîchage et sur prairies sont indemnisables par le FNGRA, si les pertes sont conséquentes (supérieures à 30 % de la production et à 13 % du produit brut de l’exploitation). Les pertes de fonds (dommages aux sols, fossés, chemins, nettoyage des détritus, etc.) pourront être prises en charge sur la base des factures. A noter que les pertes en grandes cultures (et vignes) ne sont pas couvertes par le FNGRA (l’assurance récolte privée est estimée suffisamment diffusée sur ces productions).

Dernière carte : la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, pour espérer une aide sur les dégâts de matériels et de bâtiments. Elle devait être au menu du Conseil des ministres du 8 juin. Stéphane Le Foll a annoncé, lundi, plusieurs mesures pour les zones inondées : le report de paiement des cotisations sociales, ainsi qu’un dégrèvement de la taxe sur le foncier non bâti. Les préfets ont eu la consigne de sensibiliser les banques et de mobiliser si besoin le dispositif de l’année blanche. Les producteurs de fruits et légumes pourront utiliser le dispositif d’activité partielle. La région Ile-de-France vient d’annoncer qu’elle soutiendra les maraîchers et les horticulteurs et qu’elle participera au transport de paille pour les éleveurs.