Le printemps est revenu, avec ses bourgeons, ses oiseaux et… ses pics de pollution.
A chaque saison ses problèmes. L’été, un temps chaud, ensoleillé et peu venteux favorise la formation d’ozone, à partir de différents précurseurs. L’hiver, le froid et l’absence de vent entraînent la stagnation de particules fines émises principalement par le chauffage résidentiel et le transport routier. Au printemps, des conditions météorologiques très stables (peu de vent, températures fraîches le matin) peuvent aussi favoriser la concentration de particules fines, qui se disperseront quand la météo évoluera.
En quoi le secteur agricole est-il concerné ? Il émet lui-même des particules. Si l’on s’intéresse à l’ensemble des particules en suspension dans l’air, il est même un contributeur majeur avec plus de la moitié des émissions nationales. Mais il émet surtout des particules grossières, peu préoccupantes pour la santé. Pour les particules de diamètre inférieur à 10 microns (PM10) sa part n’est plus que de 20 %, et 9 % pour les PM2,5 (2,5 microns). Ces particules fines peuvent pénétrer loin dans le système respiratoire. Leur nocivité vient-elle de leur taille ou de leur composition ? L’Anses, saisie de la question, devra livrer son expertise en 2017. En attendant, elles sont toutes une source d’inquiétude croissante pour les pouvoirs publics et les autorités sanitaires, en France comme à l’international.
De l’ammoniac en excès
Émettant moins de particules fines que d’autres secteurs, l’agriculture pourrait être tentée de plaider non coupable dans les épisodes de pollution printaniers. Mais ces derniers mettent souvent en cause du nitrate d’ammonium. Or ce polluant secondaire se forme notamment à partir d’oxydes d’azote issus du transport routier et… d’ammoniac, émis presque exclusivement par le secteur agricole. Les émissions sont particulièrement élevées lors des épandages d’engrais, que la réglementation liée aux nitrates tend justement à concentrer pendant cette période sensible…
Pour gérer les pics de pollution, la réglementation française donne pouvoir aux préfets d’intervenir. Un arrêté paru le 9 avril reprécise leur action. Ils doivent informer la population et peuvent prendre des mesures optionnelles pour interdire ou limiter certaines activités industrielles ou agricoles – épandages en particulier.
Ce nouvel arrêté, qui abroge celui de 2014, est-il le signe d’une volonté de serrer la vis, en particulier sur le volet agricole ? Certes, il rappelle que les préfets ont le pouvoir de sévir, mais dorénavant « une concertation avec la profession agricole est systématiquement prévue avant de décider de mesures restrictives, ce qui n’était pas explicite dans l’ancien texte », se félicite au contraire Éric Thirouin, président de la commission Environnement à la FNSEA. Il ajoute : « Ce n’est pas une surtransposition, car il y a une vraie pression de l’Europe pour atteindre nos objectifs de qualité de l’air. » Par la concertation, la profession espère éviter les crispations. Avec des arguments : « Si les pics de pollution en ville sont liés à l’absence de vent, comment l’arrêt d’activités se déroulant à 50 ou 100 km peut-il avoir un impact ? »
« Sur le papier, on n’est pas inquiets, ajoute Antoine Henrion, responsable du dossier Qualité de l’air à l’APCA (1). Même si on n’est pas à l’abri de décisions locales aberrantes. » On se souvient de sueurs froides lorsque certains projets de Plans de protection de l'atmosphère (2) préconisaient de récolter par temps humide… Recommandation heureusement abandonnée ! « Mais la gestion des crises ne fait pas une politique, reprend l’élu. Il y aura une dynamique positive sur la qualité de l’air à condition de viser le long terme, et d’en parler de façon technique, dépassionnée et transparente. » En plus d’un raisonnement pointu de la fertilisation, plusieurs leviers éprouvés permettent d’agir au sein de l’exploitation (lire l’encadré p. 14).
La qualité de l'air est un sujet bien plus vaste que celui des pics de pollution. Les polluants sont émis toute l’année. Et l’enjeu n’est pas que sanitaire. Les polluants atmosphériques finissent par se redéposer sur le sol, où ils perturbent les milieux naturels – et parfois la croissance des cultures. Ils sont également l’objet de protocoles internationaux. Des plafonds sont ainsi imposés notamment sur l’ammoniac, les particules fines et les oxydes d’azote, et ils sont sur le point de se durcir (lire l'encadré ci-contre). La présence de phytosanitaires dans l’air, elle, n’est pas réglementée, mais préoccupe les pouvoirs publics. Plusieurs associations agréées de surveillance de la qualité de l'air les intègrent dans leurs campagnes de mesures. D’autres composés, enfin, ne sont pas réglementés, mais pourraient l’être au titre de la lutte climatique si ce n’est de la qualité de l'air. C’est le cas du méthane. « Pour le moment, on nous laisse un peu tranquilles là-dessus », souffle la profession, qui cependant recherche déjà des solutions techniques…
Un plan en préparation
Le nouveau cadre réglementaire français sur l’air doit être fixé par le vaste Plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques en cours d’élaboration. Il traite aussi bien de particules que de gaz à effet de serre. « Les 15 à 20 mesures agricoles proposées manquaient parfois de sérieux sur le plan socio-économique, mais aussi technique », juge Thierry Coué, qui suit le dossier pour la FNSEA. Fin mars, une réunion technique entre le ministère de l’Agriculture, l’APCA, la FNSEA et Coop de France a permis de dégager trois axes sur lesquels la profession a accepté de s’engager, fixant l’ammoniac comme priorité. Le premier prévoit d’améliorer l’incorporation des lisiers dans le sol en acquérant du matériel adapté. « Mais ce matériel est coûteux : nous voulons être accompagnés dans le financement », exige Thierry Coué. Cette condition vaut aussi pour le second axe retenu : la couverture des fosses à lisier. Le troisième vise les engrais minéraux, dont la forme influe sur la volatilisation de l’ammoniac. « Le projet était d’interdire l’urée, ce que nous jugeons inacceptable. Nous misons sur des solutions techniques, comme les formules à libération progressive. » Et d’ajouter : « On a tout intérêt à limiter la volatilisation pour que le maximum d’azote profite aux cultures : le but est que l’environnement soit gagnant, mais nous aussi… » Prometteuses, mais incompatibles avec une réglementation par à-coups, ces évolutions demanderont du temps.
(1) Assemblée permanente des chambres d’agriculture. (2) Obligatoires dans certaines agglomérations.