En ce mois de mars, les premiers chiffres des clôtures de décembre 2015 tombent. Il faudra attendre juin pour avoir un panorama complet de cette année chaotique. Mais des premiers constats se dessinent, en interrogeant plusieurs centres de gestion.

1 Porc 40 % privés de revenu

Au CERFrance Côtes-d’Armor, Laurent Marc constate que l’on est loin du prix d’équilibre de 1,40 €/kg de carcasse espéré : « Il manque sur l’année 20 centimes par kilo. Le coût des aliments a certes baissé de 264 €/t en 2014 à 249 €/t. Et les éleveurs progressent techniquement, avec un indice de consommation qui a encore diminué à 2,8 (3,05 en 2005) ». Mais cela ne suffit pas, déplore-t-il : « Le revenu moyen net est proche de zéro. Et quatre éleveurs sur dix ont un revenu négatif. Pour un élevage de 200 truies naisseur, la perte de trésorerie est de 50 000 €. C’est le double pour les plus fragiles. Les trésoreries sont dégradées dans 35 % des exploitations. » En ce début 2016, 10 à 15 % des éleveurs de porcs du département seraient en situation très fragile. Les fournisseurs tardent à être payés : sur 10 € de dette à court terme, 4 sont chez les fournisseurs.

> Pistes. Le plan de soutien a donné un coup de pouce : 7 000 € de prise en charge d’intérêts bancaires en moyenne, et 2 500 € d’allégements de cotisations sociales dans les exploitations porcines. « Nous attendons avec impatience le soutien promis par les distributeurs de 9 € par porc. L’aliment a baissé à nouveau. L’étiquetage de l’origine, les projets de contractualisation avec l’aval sont aussi des pistes positives. Enfin, nous devrions vendre davantage notre excellente qualité sanitaire. Simplifions nos messages vers les consommateurs », propose Laurent Marc, qui estime vitale une remontée des cours en 2016.

2 Lait EBE trop bas

Côté lait, en Côtes-d’Armor, la chute de 60 € en un an du prix des 1 000 litres a fait fondre le revenu, de 25 000 € à 15 000 €. Certes, un éleveur sur dix gagne plus de 30 000 €, mais 4 sur 10 sont en dessous de 10 000 €. « Le prix payé est de 318 €/1 000 litres, alors que le point d’équilibre est à 350 €, explique Laurent Marc. Les éleveurs laitiers sont moins endettés qu’en porc. Pour passer l’année, ils ont baissé drastiquement leurs prélèvements privés, reporté des investissements ou ont diminué le recours à des services de conseil. Ils ont aussi renoncé à certains concentrés. Point positif : le coût alimentaire a baissé de 101 € à 93 €. »

Nathalie Velay, de CERFrance Alliance Massif central, note aussi l’effondrement du revenu laitier à 6 040 € par UTH : soit une division par deux ! « Les écarts entre les exploitations s’accentuent et atteignent aujourd’hui 14 000 € (contre 10 000 € en 2009). Dix pour cent des éleveurs sont dans une situation financière grave, et 23 % ont une trésorerie négative. Les dettes fournisseurs ont progressé de 13 % et l’endettement à court terme de 64 % en un an… »

La situation est proche en Vendée, à en croire le bilan dressé par Martine Poupard, du CERFrance Vendée : « La volatilité des prix est devenue structurelle. Même en cours d’année, les prix fluctuent. Les revenus disponibles se dégradent : 13 % des éleveurs de notre échantillon (qui n’est pas encore complet pour l’année 2015) ont un revenu négatif, 38 % ont entre 0 et 15 000 €. Alors qu’en 2014, trois quarts des exploitants gagnaient plus de 15 000 €. Ce glissement touche toutes les exploitations. Aujourd’hui, alors que les producteurs vendéens ont augmenté leur production (262 000 litres en moyenne), leur excédent brut d’exploitation (EBE) de 37 400 €/UTH n’est pas suffisant pour couvrir les annuités et les prélèvements privés. Les trésoreries se dégradent ! » Les écarts de coût de revient du litre de lait d’une exploitation à l’autre restent importants : entre le quart inférieur et le quart supérieur des élevages, il va de 300 à 400 €/1 000 litres.

> Pistes. Ces écarts donnent des indications sur les points à surveiller : la capacité de l’exploitation à produire son fourrage, l’efficacité alimentaire du troupeau, la saturation des outils (bâtiment et robot), la productivité du travail, la cohérence du système. Selon Martine Poupard, « il y a une forte exigence technique. Cela interroge sur l’organisation du travail dans chaque exploitation et sur la délégation des tâches. Chacun doit mettre en place un projet qu’il maîtrise bien ». De son côté, Nathalie Velay précise :« Il y a un enjeu véritable à soutenir les exploitations les plus fragiles où se retrouvent les récents investisseurs et ceux qui ont développé leur production. Il y a deux voies pour réfléchir à demain : soit on choisit le volume de lait, et la maîtrise du coût de production est indispensable. Soit on optimise la transformation de tous les produits viande à travers les veaux et les vaches de réforme. »

3 Viande bovine Erosion continue

En viande bovine la situation est un peu différente. Cette production est très gourmande en capital : 1 € d’EBE exige 8,70 € de capital, en augmentation constante malgré la crise. En Vendée, l’érosion des résultats est lente mais régulière. Martine Poupard calcule : « On est passé de 783 € de marge brute par vache charolaise début 2014 à 720 € sur le dernier trimestre 2015. Quinze pour cent des éleveurs ont un revenu négatif, 40 % ont moins de 15 000 € et seuls 45 % sont au-dessus de 15 000 €. »

> Piste. Selon elle, « les pistes d’augmentation des marges passent par l’accroissement des kilos produits par vache, l’attention aux demandes du marché, la production d’un veau par vache et par an (donc la détection précoce des chaleurs). Ainsi que par la capacité à produire des fourrages et d’avoir un choix de race adapté à son projet ».

4 Broutards Petit revenu

Nathalie Velay dispose, elle, de chiffres sur les bovins viande naisseurs : « En système broutard aussi, la baisse est structurelle. Le revenu moyen est de 9 000 €/UTH, avec de gros écarts entre les exploitations. » Les prix des broutards ont baissé, ainsi que leur poids pour faire face à la demande turque en particulier. Vingt-deux pour cent des exploitations ont une trésorerie dégradée et 9 % sont en situation grave. Le montant des courts termes est passé de 7 000 € à 17 000 €. Il manque 9 500 € pour avoir une trésorerie stable.

> Pistes. La piste à explorer est celle de la valeur ajoutée. « Certaines filières manquent de génisses de qualité. La voie des femelles engraissées est à approfondir », poursuit Nathalie Velay.

5 À retenir Cohérence du système

Pour reprendre la main en ces temps plus difficiles, Nathalie Velay encourage les éleveurs à s’interroger sur leur stratégie : qu’est-ce que je veux faire de mon métier ? Qu’est ce que je peux faire avec mes moyens de production ? Est-ce que le système que j’ai mis en place est cohérent ? Quelles sont les possibilités du marché et de la filière ?

Dans tous les cas, une remontée des cours est indispensable.