Il n’est pas si loin le temps où l’on rapportait dans les campagnes les agissements de certains énergumènes prêts à boire du glyphosate pour démontrer son innocuité. S’il s’agit d’une matière active qu’il faut évidemment employer et manipuler avec toutes les précautions nécessaires, les derniers rebondissements au sujet de la fameuse molécule montrent qu’il n’est pas si aisé de se prononcer sur sa dangerosité. Les scientifiques n’arrivent d’ailleurs pas à s’accorder sur ce délicat sujet.
L’étude fort décriée de Gilles-Eric Séralini, publiée en septembre 2012 (faisant état de tumeurs et de toxicité apparues sur des rats ayant ingéré du maïs transgénique et du Roundup), avait déjà semé le doute au sujet de la matière active. Mais plus récemment, en mars 2015, son classement comme « cancérogène probable chez l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), agence de l’OMS (1), a fait l’effet d’une tempête en plein processus européen de réhomologation. Malgré tout, en novembre 2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) dans son rapport final sur la réévaluation du glyphosate a conclu qu’il était improbable que la matière active présente un danger cancérogène pour l’homme. « La procédure décennale de réapprobation européenne des pesticides est un processus transparent et rigoureux. Plus de 90 000 pages et plus de 3 200 publications évaluées par les pairs ont ainsi été prises en compte, rapporte ainsi la Plateforme Glyphosate (2). Toutes les données pertinentes disponibles ont été examinées, y compris les études prises en compte par le Circ dans sa monographie sur le glyphosate. »
Et ces dernières semaines, à l’approche de la date limite d’autorisation du glyphosate en juin, les rapports, annonces et autres coups de théâtre n’en finissent plus de faire la une de l’actualité. Au niveau européen, les échanges entre certains scientifiques et l’agence se sont multipliés. En effet, une centaine de scientifiques a envoyé fin novembre une lettre ouverte critiquant l’évaluation faite par l’Efsa. Or, cette dernière estime que les deux études ne peuvent « pas être comparées », celle du Circ étant « une première évaluation » et celle de l’Efsa une « évaluation exhaustive du risque. »
Avis scientifiques sous pression
D’autre part, en France, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) a publié le 9 février, un avis sur le glyphosate suite à une saisine de plusieurs ministères. Il va dans le sens de l’avis de l’Efsa, même si l’Anses ajoute poursuivre ses travaux au sujet des risques liés aux coformulants (lire encadré ci-dessous) présents dans l’ensemble des préparations phytopharmaceutiques.
Et comme souvent au sujet des pesticides, ces derniers temps, la pression de l’opinion publique se fait forte sur les politiques. Plusieurs pétitions ont vu le jour en France et en Europe pour demander le retrait de l’herbicide. Des ONG européennes ont même porté plainte contre Monsanto et l’Efsa pour distorsion d’analyses scientifiques : « Nous sommes fondés à penser que les autorités européennes et les industriels ont cherché, via des interprétations faussées d’analyses, à maintenir le glyphosate sur le marché européen malgré ses probables effets cancérogènes pour l’être humain. »
François Veillerette, porte-parole de Générations Futures ajoute : « Nous étudions avec nos avocats d’autres voies d’action possibles en France. Car, si finalement la substance active était homologuée, il faudrait remporter la bataille autrement ! »
Dossier politique
« C’est un dossier qui est très biaisé d’un point de vue politique », juge Jean-Charles Bocquet, directeur général de l’ECPA (European Crop Protection Association). Et il est vrai que dans la foulée de la publication du rapport de l’Anses, Ségolène Royal a invité à retirer, d’ici à la fin mars, les spécialités contenant cette molécule et les coformulants présentant des risques préoccupants.
La ministre de l’Ecologie a même durci sa position puisqu’elle a indiqué le 9 mars dernier avoir « demandé à la Commission européenne de retirer sa proposition de renouvellement de l’autorisation de la mise sur le marché du glyphosate pour quinze ans. » Et d’autres pays comme la Suède, l’Italie ou encore les Pays-Bas auraient suivi la position de la France. C’est pourquoi, le vote sur la proposition de prolongation d’autorisation du glyphosate prévu les 7 et 8 mars derniers a dû être reporté, d’autant qu’a priori l’Allemagne ainsi que l’Autriche avaient prévu de s’abstenir.
Alors même si la Plateforme Glyphosate assure que ce type de discussions est normal et fréquent, et n’imagine pas le retrait de la matière active, il y a de quoi se questionner sur l’avenir de l’herbicide, qui rappelons le est le plus vendu au monde. Car si le glyphosate reste très attaché dans l’imaginaire aux OGM, qui ne sont plus autorisés en France, il est employé par les particuliers, les viticulteurs, les agriculteurs… « En grandes cultures et en maraîchage, un agriculteur sur deux l’utilise : mais pas tous les ans ! Le désherbage, et donc l’emploi du glyphosate, se raisonne dans la rotation, précise Yann Fichet, porte-parole de la Plateforme Glyphosate. Il faut garder à l’esprit que les infestations de certaines mauvaises herbes peuvent aboutir à des chutes de rendements de près de 30 à 40 % : on ne peut donc pas imaginer revenir à des situations sans glyphosate sachant qu’il n’y a pas d’alternatives aussi efficaces pour désherber. Et repasser à des techniques mécaniques mettrait à mal des techniques durables, comme l’agriculture de conservation. »
(1) Organisation mondiale de la Santé.
(2) Sociétés commercialisant des préparations à base de glyphosate, basées dans douze États membres de l’UE et associées dans le souci de coopérer et de partager le travail requis dans le cadre de la procédure de renouvellement.