Cette fois, ils ont décidé de franchir le pas qui sépare l’engagement professionnel et l’engagement politique. Le 6 décembre, ils seront 430 agriculteurs en activité (et 87 retraités) à se soumettre aux urnes lors du premier tour des élections régionales. La plupart ont été repérés par ceux qui mènent les listes grâce à leurs engagements au service de l’agriculture de leur département.

Un prolongement

Olivier Allain, éleveur allaitant dans les Côtes-d’Armor et président de la chambre d’agriculture, se lance sur la liste ouverte de gauche « Pour la Bretagne avec Jean-Yves Le Drian » : « Chaque fois que nous avons eu besoin de lui, il nous a reçus, y compris au ministère de la Défense qu’il occupe actuellement. Il nous a écoutés, a porté nos demandes. Après trois semaines de réflexion, j’ai accepté d’être candidat. » Face aux critiques qu’a fait naître cet engagement au côté d’un ministre en place, Olivier Allain assume : « Ma ligne sur la politique agricole a toujours été claire : je défends l’agriculture familiale, modèle le plus efficace pour protéger nos zones d’élevage. Je prêche depuis toujours pour la régulation de l’agriculture et pour l’intervention publique. » S’il est élu, l’éleveur abandonnera la présidence de la chambre d’agriculture.

Daniel Prieur, en Gaec dans le Doubs et fervent défenseur du modèle Comté, est aussi président de la chambre interdépartementale du Doubs et du Territoire de Belfort, ainsi que vice-président de la FNSEA. Il est en septième position sur la liste d’union de la droite de Bourgogne-Franche-Comté. Pour ce militant d’une ruralité vivante, les élections régionales sont presque une étape naturelle dans son parcours : « J’adhérerai à l’UDI après les élections. Depuis 32 ans, je crois en l’engagement professionnel, la coopération, l’humain. » Avec la loi NOTRe (1), la Région devient incontournable pour le développement économique. « Je défends un modèle qui allie économique et social. L’argent ne doit pas être distribué à tort et à travers. Il s’agit de développer l’appui technique, l’ingénierie, plus que de donner des aides individuelles », estime-t-il. S’il est élu, il continuera à suivre la mise en place de la nouvelle chambre d’agriculture régionale sans postuler à la présidence. Pour ses postes syndicaux, selon les circonstances, il démissionnera ou attendra les prochaines élections.

Dominique Despras, éleveur de bovins, préside, lui, la FDSEA du Rhône. Il a rejoint « le grand rassemblement de la droite et du centre » mené par Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes. « Je suis un centriste modéré. J’ai toujours lutté contre les extrêmes et je refuse de laisser des sujets comme l’économie aux mains des écologistes ou du Front national. La concurrence est rude pour accéder aux listes, mais mon profil a intéressé Laurent Wauquiez : j’ai moins de quarante ans, je suis à la tête d’une entreprise agricole. Il cherchait des acteurs de la société civile. Dans l’ancienne majorité régionale, l’agriculture a trop souvent été confiée à des écologistes, au profil très urbain. Je suis en bio et pour moi, l’écologie est un facteur de croissance. » Maire de sa commune, il estime que dans cette nouvelle Région, qui ira d’Aurillac à Chamonix, il faudra s’appuyer sur les communautés de communes.

Venu de la coopération

Frédéric Touzellier, agriculteur dans le Gard, est en position éligible sur la liste menée par Dominique Reynié (Les Républicains, UDI, Modem) en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Engagé dans les Cuma et coopérateur, il porte les valeurs de l’action collective et de la solidarité, « en recul partout ». Dans cette future grande Région, il veut rester un élu de proximité. L’autre enjeu, c’est l’irrigation. « Le stockage pluriannuel de l’eau est une priorité. Il faut accroître les ressources et étendre le réseau pour éviter la désertification. » Maire dans sa commune, il note que les friches gagnent du terrain.

 

En congé de syndicat

Judith Carmona, exploitante dans les Pyrénées-Orientales, se présente aussi dans cette même grande et nouvelle Région. Elle s’est mise en congé de la Confédération paysanne pour se présenter sur la liste « nouveau monde en commun », qui réunit Front de gauche, Parti communiste et Europe-Ecologie-Les Verts. La liste est « très plurielle » et comprend même des syndicalistes et des membres de la société civile. « J’ai dit oui quand on m’a sollicité pour que la grande Région laisse une vraie place à la ruralité. Ce ne sont pas les deux grandes métropoles qui doivent irriguer le territoire à 60 % rural », illustre-t-elle. « Les Régions sont devenues autorité de gestion sur le second pilier de la Pac. J’avais envie de faire équipe avec des gens d’origines diverses qui vont dans le sens de mon combat syndical pour une agriculture paysanne. »

Protestation

Marion Quartier, conjoint collaborateur d’un éleveur de l’Aube, n’est pas syndiquée mais elle s’engage pour la première fois sur la liste « Debout la France », avec Nicolas Dupont-Aignan en Région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine. Maire de sa commune, non encartée, elle avait donné sa signature à Nicolas Dupont-Aignan pour les présidentielles de 2012. « Je suis très en colère contre Pierre Richert (liste Les Républicains). Je râlais toute seule dans mon coin. Puis je me suis reconnue dans la vision de ma liste d’une Région au service de ses territoires. » Pour cette passionnée de génétique, « on » a négligé le secteur essentiel qu’est l’élevage. « Nous avons beaucoup de zones remarquables qui ne seraient rien sans les animaux. Le soutien à la viticulture est important mais ne peut être identique », déplore-t-elle.

Déjà militants

Parmi les candidats se trouvent aussi des militants politiques de longue date. A l’image de Philippe Loiseau, exploitant en Eure-et-Loir, qui détient déjà un mandat de député européen pour le Front national depuis 2014. Adhérent au « Front » après la réforme de 1992 de la PAC, il est secrétaire du parti dans son département depuis 2001. Tête de liste dans la Région Centre-Val de Loire, il fait faire une partie de sa ferme à façon pour se consacrer à la politique. Selon lui, « elle offre une vision plus large que le syndicalisme ». Celui pour qui « la France va mal » veut défendre les valeurs de l’agriculture, de la ruralité et de l’artisanat. « Quand j’entends François Bonneau (actuel président PS de Région) dire que le budget agricole sera maintenu malgré le besoin de faire des efforts budgétaires, c’est insupportable vu l’insuffisance du budget. En plus, 500 millions d’euros sont réservés au bio. C’est disproportionné », peste-t-il.

Le rural oublié

A l’autre bout de l’échiquier politique, Jean Mouzat, éleveur en Limousin, président du Modef et inscrit au Parti communiste, se présente en position non éligible sur la liste du Front de gauche en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes : « Je voulais participer à ce moment de débat démocratique. Cela évite l’entre-soi. Ces grandes Régions sont une erreur : que partagent aujourd’hui un éleveur du plateau de Mille­vaches et un vigneron dans un château du Bordelais ? Je suis contre ces mégalopoles à près de trois heures de route qui empêchent de faire vibrer le territoire. L’argent n’arrive pas de façon égalitaire partout. »

François Dufour, actuel vice-président en charge de l’agriculture pour la Région Basse-Normandie, repart sur la liste « Normandie-Ecologie ». « Pour moi, l’écologie ne tient que s’il y a une économie derrière. Le monde agricole a besoin de postes politiques », lâche-t-il. Ancien porte-parole de la Confédération paysanne, il s’est passionné pour la mondialisation depuis les accords de Marrakech, signés en 1994 : « Ils présageaient de nombreuses et dangereuses turbulences économiques pour l’agriculture. A l’époque, je m’étais demandé s’il y aurait encore des racines paysannes dans l’exécutif régional, car il était prévisible que les Régions deviendraient autorité de gestion pour une partie des fonds européens. » Celui qui vient de boucler le PDR dans sa Région estime qu’il faut « connaître son sujet » pour gérer les commissions et trouver un consensus. « Les mandats régionaux sont des temps pleins, je suis contre le cumul », tranche-t-il.

Fin de carrière

Même glissement de la sphère syndicale à la sphère politique chez Jean-Michel Serres. Eleveur de porc en Picardie, il s’est engagé auprès de Xavier Bertrand sur la liste « Notre région au travail » en Région Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Ancien président de la Fédération nationale porcine, il vient d’être candidat à l’élection départementale aux côtés des Républicains de la Somme : « L’agriculture, ce sont 130 000 emplois sur la grande Région. Il y a eu des investissements énormes dans la recherche. Mais nous ne gardons ni nos jeunes, ni nos emplois. » Dans une Région sous haute surveillance médiatique, il s’inquiète de l’arrivée annoncée du Front national, qui ferait fuir selon lui les investisseurs. « On ne peut pas demander les crédits de l’Europe et l’attaquer sans cesse », conclut-il.

(1) Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.