Le 30 janvier 2015, Stéphane Le Foll avait annoncé avec grand bruit les axes de la nouvelle version du plan Ecophyto. L’objectif de réduire de 50 % l’utilisation des phytos d’ici à 2025 avait été avancé (lire encadré). Différents outils avaient été cités : certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP), promotion du biocontrôle… dans l’attente de précisions.

Le 4 novembre, le ministre devait présenter « la déclinaison pratique de ce nouveau plan ». Autant dire que coopératives, négoces et agriculteurs étaient aux aguets, attendant beaucoup de précisions sur le dispositif des CEPP.

Au final, plus de questions que de réponses. Dans cet océan d’interrogations, une certitude. Il s’agira d’une expérimentation à l’échelle de la France, du 1er juillet 2016 au 31 décembre 2022, pour tous les distributeurs, avec une amende à la clé si l’objectif de réduction des ventes de phytos propre à chaque distributeur n’est pas atteint. Cet objectif sera défini sur la base des ventes des cinq dernières années, mais l’indicateur de suivi précis qui devrait être diminué de 20 % environ d’ici à fin 2022 n’est pas encore calé. Un groupe de travail constitué par le ministère, les coopératives et négoces doit se réunir pour le définir (lire encadré p. 15). Décrets et arrêtés sont attendus avant la fin de l’année. En théorie.

Ensuite, chaque distributeur devra mettre en place des actions visant à réduire l’utilisation de phytos. Ces actions seront formalisées sous forme de fiches-actions qui, une fois validées par une Commission d’évaluation, seront approuvées par arrêté ministériel. Une valeur de réduction de l’utilisation des produits phyto, qui correspondra donc à un certain nombre de CEPP, sera alors allouée à chaque action. Ce qui permettra à chaque coop ou négoce de se rapprocher de son objectif de certificats à atteindre.

Effet sur le prix
des phytos

Face à cette annonce, les syndicats et organisations agricoles qui se sentent bafoués et exclus des décisions prises par le ministère ont eu une réaction presque épidermique. La Fédération du négoce agricole (FNA) et Coop de France dénoncent une « taxe-sanction qui va créer de nouvelles distorsions de concurrence au sein du marché européen ». Elles s’opposent « aux sanctions administratives et financières en cas de non-atteinte des objectifs fixés aux agriculteurs ». Dans leur groupe de travail qui doit préparer la sortie des décrets et arrêtés sur les CEPP, ils prévoient de proposer de supprimer l’amende « afin de rester dans le positif », « sachant que la profession est volontaire, précise Vincent Magdelaine, directeur de Coop de France. Le problème, c’est qu’il y a encore aujourd’hui trop peu de solutions alternatives aux phytos fiables techniquement et viables économiquement. Les agriculteurs risquent donc de perdurer dans l’utilisation de produits traditionnels et nous, nous serons soumis à l’amende. »

Conséquence directe pour les agriculteurs qui sont au bout de la chaîne, si on reste dans le système prévu : le prix des phytos devrait augmenter. Un moyen pour la distribution de compenser ses pertes engendrées par l’amende. Pas sûr en revanche que les agriculteurs puissent ensuite revendre d’autant plus cher leur production…

L’innovation boostée

Mais à se focaliser sur l’amende, sauront-ils rebondir et être force de propositions pour que ce dispositif soit une réus­site ? Comme ce fut le cas pour les certificats d’économie d’énergie après quelques années de démarrage en douceur. Nul doute que certaines coopératives et négoces sont déjà dans cette démarche. Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint agriculture à l’Inra et président de la Commission d’évaluation qui examine les fiches-actions, a déjà reçu plusieurs propositions. « Plusieurs coopératives, négoces, instituts techniques, interprofessions… nous ont déjà remis des fiches concernant l’utilisation de variétés résistantes, de produits de biocontrôle, d’agroéquipement améliorant l’efficacité du traitement, par exemple… »

Toutefois, pour les professionnels, trop de questions restent encore en suspens. « Qui s’engage à réaliser ces actions ? », se demande la FNA. Est-ce la distribution qui doit s’engager à vendre un certain volume de produits de biocontrôle alors que les solutions n’existent pas sur toutes cultures et tous parasites ? Est-ce aux agriculteurs de s’engager à acheter un certain volume ? Comment vérifier que l’action sera mise en œuvre et réussie ?

En tout cas, le caractère ambitieux de cet objectif a pour mérite de booster la recherche et l’innovation en termes de sélection de variétés résistantes aux maladies, à la verse, de recherche de solutions de biocontrôle alternatives aux phytos, d’agriculture de précision, d’outils d’aide à la décision…

Une réglementation, même si elle est vécue comme une contrainte au départ, peut devenir une opportunité si elle permet au final de doper les idées et d’accélérer un changement déjà amorcé. Les coopératives et négoces devront encore plus faire preuve d’innovation et d’ingéniosité pour proposer de nouveaux services, élargir leurs gammes de produits… et se différencier entre elles. Un facteur potentiel de compétitivité, en somme. « Les leviers sont nombreux, il faut juste actionner les premiers et un cercle vertueux sera lancé, estime Christian Huyghe. De toute façon, la performance environnementale n’est pas négociable ! »