Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une production française de blé tendre évaluée à 29,1 millions de tonnes en 2016, contre 40,9 Mt l’an passé ; un rendement qui ne dépasserait pas 55,6 q/ha (79,3 q/ha en 2015) ; des poids spécifiques inférieurs à 76 kg/hl pour 72 % des volumes collectés (lire ci-dessous). Autant dire que la moisson 2016 bat tous les records de médiocrité.

Mais comment en est-on arrivé là, alors qu’à la mi-mai tous les voyants étaient au vert dans les parcelles de céréales ? Comment expliquer ce revirement de situation ? Retour sur le « scénario catastrophe » de 2016.

La montaison a été précoce et longue, ce qui a été favorable au nombre d’épis malgré quelques épisodes de gel fin avril-début mai (Auvergne, Pays de la Loire...). « En blé tendre, on était sur une trajectoire bonne à très bonne jusqu’au 15-25 mai selon les régions, rappelle Jean-Charles Deswarte, écophysiologiste chez Arvalis. A cette période, la densité des épis, la biomasse à floraison et le statut azoté étaient très satisfaisants. » Mais c’est au stade de la floraison des blés, c’est-à-dire au pire moment, que tout bascule. « Fin mai-début juin, le rayonnement était très faible, avec une couverture nuageuse très basse et des pluies fortes, relate le spécialiste. Ce qui a eu pour conséquence de ralentir le métabolisme des plantes.

La photosynthèse a donc été fortement ralentie au moment de la fécondation, provoquant des manques de grains. » Et donc une baisse de la fertilité des épis. En effet, pendant 5 à 6 jours, le rayonnement journalier n’a pas dépassé 60-80 calories/cm², là où la moyenne pluriannuelle pour une fin mai est de 300-350 cal/cm², voire 600-800 cal/cm² lors d’une journée très ensoleillée !

Ce temps gris était accompagné de très forts cumuls de précipitations (voir carte), notamment dans le Centre Val de Loire, en Ile-de-France, en Champagne, en Bourgogne et dans le sud de la Picardie.

Ces pluies très intenses se sont accompagnées de verse, d’inondations et d’une explosion de la fusariose. « On peut difficilement mettre en cause les fongicides car la pluie était tellement forte (plus de 100 mm en quelques jours) que la protection s’est révélée insuffisante, estime Jean-Charles Deswarte. Et dans certains cas, les exploitants n’ont pas pu effectuer le traitement après la floraison, qui suit celui appliqué après l’apparition des étamines. » En Bretagne, Normandie et Pays de la Loire où il a moins plu, les rendements ont généralement moins décroché, seulement pénalisés par le faible rayonnement.

Petits grains

Cela aurait pu s’arrêter là mais les pluies et le rayonnement déficitaire se sont prolongés jusqu’au 15-20 juin lors du remplissage des grains, un peu partout en France. « On perd en moyenne au niveau national 15 à 20 % de rayonnement par rapport à la norme et jusqu’à 30 % dans les situations les plus touchées, chiffre Arvalis. C’est le plus faible rayonnement observé depuis 20-30 ans. » (Lire le graphique). Avec des racines en anoxie (car baignées dans l’eau), les plantes ont eu du mal à fonctionner. Conclusion : moins de grains au mètre carré et des grains plus petits, qui passent derrière la batteuse donc non récoltés. « En 2016, le poids de mille grains (PMG) est en moyenne à 38 g dans les essais Arvalis, pour 18 000 grains/m². C’est beaucoup plus faible que ce qui est observé en moyenne pluriannuelle : PMG de 45 g pour 20 000 grains/m². En général, quand on a moins de grains, ils sont plus gros mais, en 2016, cela n’a pas été le cas car les plantes n’étaient pas saines et ne fonctionnaient pas bien. » Avec, au final, les rendements piteux que l’on connaît.

Par ailleurs, les pailles plus nombreuses que d’habitude sont restées longtemps gorgées d’azote, les plantes étaient très solides à floraison. Mais il n’y a pas eu de remobilisation des sucres et de l’azote des pailles vers les grains. Sur 18-20 t de paille en Seine-et-Marne, seules 4 t/ha de grains ont été récoltés. L’indice de récolte, c’est-à-dire le ratio entre biomasse culturale et quantité de grains à la sortie, s’est révélé faible cette année.

Adventices et JNO pénalisantes

Même si le climat a pesé, les problèmes d’adventices ont aussi fait perdre quelques quintaux. « Ce phénomène est récurrent, il ne faut pas l’oublier », alerte Jean-Charles Deswarte. Autre facteur qui a pénalisé le rendement : la JNO (jaunisse nanisante de l’orge). « Les années à fort impact, on perd jusqu’à 5 q/ha à l’échelle d’un département. Dans le Centre, les pluies sont passées par-dessus et, dans l’Ouest moins touché par les problèmes de remplissage, la maladie a procuré un défaut de rendement », analyse le spécialiste.

Le climat de cette année, plus favorable à l’expression des maladies que du potentiel, aura donc imposé sa loi à la technique. Ce scénario climatique d’une intensité jamais vue est arrivé à une période cruciale, sur des plantes sensibles et qui ne pouvaient pas compenser par la suite. Une situation pour laquelle les agriculteurs ne pouvaient rien faire à part constater les dégâts. « La campagne 2016 restera celle des extrêmes, celle dont on ne retirera, pour l’avenir, que peu de chose. Et surtout celle qui nous rappelle que la main de l’homme ne peut pas tout », trouve-t-on dans une note de la chambre d’agriculture de l’Aisne.

« Arriver à ce niveau de pénalités cumulées à la période la plus sensible ne s’est pas rencontré depuis cinquante ans, développe Jean-Charles Deswarte. Et il reste difficile de prévoir statistiquement quand cela peut se reproduire. »

Isabelle Escoffier