Desservir toutes les zones
« La question de l’égalité des territoires pour l’accès aux services publics est une spécificité française. Les raisons en sont historiques (2) et géographiques. Alors que la densité de population chez nos voisins anglais, allemands et italiens s’élève à 200 habitants au kilomètre carré (400 aux Pays-Bas), elle est de 100 chez nous.
En France, il n’y a pas de désert, il y a un peu de monde partout. Cette particularité impose de desservir aussi les zones faiblement peuplées en services d’éducation, de santé, de voirie, d’assainissement…
Un équilibre remis en cause
Ce quadrillage de proximité unique au monde a été construit grâce à un système de péréquation entre les territoires plus ou moins favorisés, et grâce à l’existence de très grands monopoles publics, SNCF, PTT, EDF… Chaque français paie le kWh ou le timbre-poste au même prix quel que soit son lieu de vie.
Cet équilibre, qui prévalait depuis la IIIe République, se fissure avec l’éclatement des monopoles publics, la montée des grandes villes et les évolutions sociétales. De sédentaires, les Français sont devenus mobiles et consommateurs. Ils peuvent être contre la fermeture de la maternité locale tout en choisissant d’accoucher dans la ville qui dispose d’un plateau technique meilleur.
L’intercommunalité ne résout pas tout
Notre système de services collectifs peut-il s’adapter à cette mise en concurrence ? Faut-il condamner le vieux quadrillage républicain et donner, comme nos voisins l’ont fait, le pouvoir aux grandes villes ?
Vu l’étendue du territoire français, il est impossible de gérer l’espace à partir de quinze métropoles. Mais l’intercommunalité, l’élargissement des juridictions de base, ne résout pas les problèmes liés à l’évolution des modes de vie des Français (nomadisation). Ni à l’équilibre économique des grands services. Ce qui se passe autour de la question du très haut débit et de la rupture numérique de certaines zones rurales l’illustre bien.
La vérité des prix
Un débat sur la vérité des prix s’impose. Alors que le système existant est plutôt opaque financièrement, il faut savoir ce que coûtent les services publics dans telle situation, quels sont les montants transférés.
Des collectifs qui agissent
Le temps est venu de repenser l’égalité territoriale non plus en attendant des subsides qui viendraient du haut. Il faut être capable de « dealer » avec les voisins, qu’ils soient ruraux ou métropolitains. Chinon a bien sauvé un pôle de santé de proximité en partageant certaines activités avec le centre hospitalier universitaire de Tours.
Les communes et collectivités territoriales doivent se désintoxiquer de l’État et construire des communautés d’action horizontales, des collectifs qui agissent. »
(1) Philippe Estèbe est directeur de l’Institut des hautes études en aménagement et développement des territoires en Europe (IHEDATE).
(2) L’exode rural a été plus tardif en France que chez nos voisins. Notre industrie s’est développée davantage en milieu rural qu’en ville.