Baisse des subventions MAE ou bio, retards d’aides directes, refus d’ATR (1)… En 2015-16, les griefs contre l’État ou les Régions sont nombreux. Seuls ou en collectifs, les agriculteurs se tournent vers la justice pour faire reconnaître les manquements des pouvoirs publics. « Malheureusement, nous n’avons pour l’instant pas de texte à attaquer », explique un avocat saisi par un céréalier du Bassin parisien qui se voit « confisquer » 100 000 € d’aides bio et MAE ! Il lui faudra attendre quelques semaines (ou mois) avant de saisir la justice.
Saisir le juge européen
Ce n’est pas le cas des agriculteurs initialement écartés de l’ATR sous prétexte qu’ils sont en procédure de sauvegarde ou en redressement judiciaire. Pour leur refuser l’ATR, le ministère s’appuie sur deux règlements européens (1408/2013 et 1346/2000) dont il déduit que les personnes en procédure d’insolvabilité n’ont pas accès aux aides sous forme de prêts (ce que sont les ATR). Une interprétation que ne partagent pas Solidarité Paysans et de nombreux experts français des procédures collectives (Lire « Apport de trésorerie remboursable : Le ministère coupable d’excès de zèle »).
Alors, nous avons interrogé un juge à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), compétente pour juger de la bonne application du droit européen dans les États membres. « Les agriculteurs ont deux voies de recours indirectes, souligne François Biltgen, président de chambre à la Cour de justice. Le recours en manquement et le renvoi préjudiciel. » Il nous explique.
Deux voies de recours
« Si la Commission européenne est d’accord avec l’interprétation des agriculteurs et donc qu’elle estime que le droit de l’UE a été enfreint, elle peut engager contre la France un recours en manquement, sur le fondement des articles 258 à 260 du traité sur le fonctionnement de l’UE ». Comme elle l’a d’ailleurs fait pour des retards dans la transposition des directives sur les oiseaux et l’habitat (zones Natura 2000).
L’autre voie, plus accessible au simple justiciable, consiste à saisir le juge du fond (en France, pour cette affaire, ce serait le tribunal administratif) et lui demander d’exercer un renvoi préjudiciel devant la CJUE. « Le juge pourra demander à la Cour d’interpréter les deux règlements européens en question afin de pouvoir les appliquer correctement. »
Le dépôt d’une demande de décision préjudicielle entraîne la suspension de la procédure nationale jusqu’à ce que la Cour ait statué. Il est à noter également que ce renvoi est un renvoi de juge à juge. Même s’il peut être suggéré par l’une des parties au litige, c’est la juridiction nationale qui prend la décision de renvoyer l’affaire devant la Cour de justice. Celle-ci se prononce uniquement sur les éléments constitutifs du renvoi préjudiciel sur lesquels elle est saisie. La juridiction nationale reste donc maîtresse du litige principal, étant entendu qu’elle est liée par la réponse de la Cour quant à l’interprétation du droit de l’Union.
Force de loi
Les arrêts de la Cour de justice ont force obligatoire. Autrement dit, ils s’imposent à tous les États (même si l’affaire n’a concerné qu’un pays) et à leurs juridictions. Une procédure classique nécessite en moyenne 15 mois. Pour plaider devant la Cour, la présence d’un avocat est obligatoire. Ce peut être n’importe quel avocat. Nul besoin qu’il soit habilité à plaider en France devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État par exemple.
_____
(1) Apport de trésorerie remboursable.