La tête d’une autruche enfouie dans le sable qui resurgit un peu plus loin pour « regarder en face ce qui est révolu, pour ne pas rester aveugles à ce qui est en train de naître ». L’affiche des controverses de Marciac (Gers) campe le décor de ces débats, aussi organisés qu’informels, qui ont lieu depuis 22 ans fin juillet sous les platanes en marge du festival de Jazz. Près de 200 personnes, dont une cinquantaine d’agriculteurs, ont participé à ces vifs échanges qui proposent des pistes plus que des solutions toutes faites.
Des réponses complexes
Lors des tables rondes animées, comme toujours, la complexité des réponses apportées à ceux qui s’interrogent sur les modèles agricoles, sautait aux yeux. Il n’y aura pas un seul modèle, qu’il soit intensif ou bio, pour apporter la solution providentielle. Les chemins à suivre face aux nouvelles exigences à la fois de l’environnement et des consommateurs se dégagent péniblement.
Lors d’une confrontation entre Danielle Even, qui élève avec son mari 300 truies dans les Côtes-d’Armor, et Jocelyne Porcher, sociologue à l’Inra, ces chemins ne se sont même pas croisés. Danielle Even, nouvelle présidente de la chambre d’agriculture, explique comment, depuis son installation il y a 30 ans, son élevage a évolué, s’est adapté aux règles toujours plus exigeantes du bien-être animal, comment depuis la mise en cause des éleveurs dans la prolifération des algues vertes, les Bretons ont modifié en particulier l’alimentation de leur troupeau.
« Industriel et archaïque »
Volontaire pour améliorer à la fois la qualité de l’eau et maintenir son revenu, Danielle Even a révélé que cette année son revenu serait nul. Pour Jocelyne Porcher ce type de production animale « industriel et archaïque » est à bout de course, ne servant que l’intérêt de l’industrie agroalimentaire qui l’a mis en place. Elle refuse même d’appeler élevage ce qu’elle qualifie de « production animale », de « minerai » pour l’agro-industrie qui a un but : la disparition de l’agriculture au profit d’une viande de synthèse.
Selon la chercheuse si on ne rompt pas avec le système industriel, on perdra le lien avec les animaux. Les règles actuelles de bien-être au mieux limiteraient la souffrance des animaux. Difficile à entendre et à accepter pour Danièle Even qui souligne son attention aux exigences de la société et qui rappelle qu’elle doit aussi gagner sa vie, et les consommateurs pouvoir acheter la viande produite. Elle évoque aussi de l’attention portée à ses truies lors de la mise bas.
Se soucier d’abord des éleveurs
Agacé par l’attention portée par Jocelyne Porcher aux seuls animaux, le docteur Jean-Jacques Laplante de la MSA de Franche Comté regrette que son souci premier n’aille pas aux éleveurs dont la santé est parfois mise à rude épreuve : « j’aimerais que l’on parle du bilan de santé de l’homme au travail, de la manière dont il vit difficilement ».
Jocelyne Porcher réplique qu’elle a aussi étudié le mal-être des travailleurs des porcheries. Sans convaincre, en particulier Danièle Even : « Je ne veux pas casser mon outil. Nous avons une autre relation à l’animal que cette description. Nous offrons à tous les consommateurs ce qui correspond à leur demande. S’ils aspirent à autre chose, on se réorientera ».
Entre rupture et adaptation
Autre illustration de cette hésitation entre rupture des modèles et adaptation des modèles existants : à la question comment réenchanter l’avenir, Maximilien Rouer de la Coopérative Terrena explique que les coopérateurs se sont vus proposer depuis 2008 d’adhérer à « la nouvelle agriculture ». Une démarche « inclusive » qui permet à chaque adhérent, à son rythme, de produire mieux avec moins, qui favorise la marge plus que les volumes, qui va vers une désintensification de l’agriculture et une valorisation de ce travail auprès des consommateurs.
Des agriculteurs sentinelles engagent l’évolution puis des coop-acteurs embrayent à leur rythme. Cette façon de faire laisse très sceptique Philippe Baret, professeur à l’université catholique de Louvain : les démarches à engager pour adapter nos modèles anciens, laisseront du monde sur le chemin. Pour être efficace, il ne suffit pas de compter sur la bonne volonté de chacun. Il faut partir des objectifs à atteindre et prendre ceux qui répondent à ces objectifs, sans s’encombrer de ceux qui renâclent. « Demandons-nous : quelle est notre vision ? Quel courage et quels moyens met-on en œuvre ? Quelles compétences ? Où est l’originalité de notre projet ? ».
Les controverses ont de l’avenir.
(1) ces controverses sont organisées par la Mission Agrobiosciences qui réintègre l’Inra et la communauté de communes Bastides et vallons du Gers.