Comme 80 % des agriculteurs canadiens, « pour bien dormir la nuit », Julien Bray, cultivateur dans la province du Manitoba, contracte des assurances « sur toutes les surfaces et pour toutes les productions ». « Les programmes sont revus tous les cinq ans au niveau fédéral et sont déclinés dans les provinces qui agissent comme des assureurs », explique Élise Legendre, en charge du risque entreprise pour le ministère fédéral de l’Agriculture. Chaque province dispose d’un organisme d’État en charge de la gestion des programmes, comme La Financière agricole au Québec. Le budget oscille entre 1,7 et 2 milliards de dollars canadiens (CAD) par an pour l’ensemble du pays. Le coût des différents programmes est partagé entre l’État fédéral (60 %) et les provinces (40 %). Actuellement et jusqu’à 2019, les agriculteurs peuvent bénéficier de cinq programmes fédéraux parmi lesquels on trouve l’assurance récolte ou l’assurance revenu, auxquelles s’ajoutent des outils assuranciels propres aux provinces comme celle du prix du bétail dans l’Ouest.
Le budget oscille entre 1,7 et 2 milliards de dollars CAD par an pour l’ensemble du pays.
Le budget moyen d’une programmation quinquennale pour l’État fédéral est de 10 milliards de dollars
Assurer la récolte
De loin la plus populaire, l’assurance récolte, issue du programme fédéral « Agri-protection », est calée sur les rendements historiques. Elle assure la baisse des rendements et la perte de qualités liées aux « risques climatiques et aux phénomènes naturels incontrôlables ». Le coût de la prime est partagé entre le producteur (40 %), l’État (36 %) et la Province (24 %). À titre d’exemple, notre céréalier des Grandes Prairies s’assure 80 % de la moyenne des dix dernières années pour une prime de 8 $ l’acre pour le blé (11,20 €/ha) et de 12 $/acre pour le soja (16,60 €/ha).
Chaque province met au point et gère ses propres régimes d’Agri-protection afin de répondre aux besoins de ses producteurs. Les régimes portent sur les cultures traditionnelles comme le blé, le maïs, l’avoine et l’orge ainsi que sur les cultures maraîchères (laitue, fraise, carotte, aubergine). Certaines provinces, comme le Québec, offrent aussi une protection couvrant la mortalité des abeilles et la production de sirop d’érable.
Au Québec, l’assurance récolte (Asrec) est volontaire et annuelle. « Les banques peuvent aussi obliger certains producteurs à la contracter si des financements sont en jeu », avertit André Picard, directeur à la Financière agricole. En 2015, l’organisme d’État estime avoir accompagné 11 630 entreprises québécoises pour une valeur assurée de 1,14 milliard (791 M€). Les indemnités se sont, quant à elle, élevées à 14,8 millions de dollars (10,3 M€), en baisse de 17,4 M$ (12 M€) par rapport à 2014.
Protection du revenu global des exploitations
Créé au début des années 2000 au niveau fédéral, le programme « Agri-stabilité » a pour objectif la protection du revenu global des exploitations. Une indemnité est versée lorsque la marge de l’année (revenu admissible – dettes admissibles) est inférieure à 70 % de la marge historique (moyenne des cinq dernières années déduite de la pire et de la meilleure année). Au Québec, 16 000 entreprises l’ont contracté, soit un peu plus de la moitié des exploitations.
« Cette assurance fonctionne à partir des données des entreprises couvertes », indique André Picard. Pour en bénéficier, les agriculteurs doivent fournir leur comptabilité d’exercices. Entre 2011 et 2014, La Financière agricole a versé 184,7 M$ (128,2M€). « Depuis deux ans, la couverture est revue à la baisse en raison de l’inflexion des prix des matières premières », explique le directeur de l’organisme pour justifier la différence entre les indemnités de 2011, estimées à 64,8 M$ (45 M€), et celles de 2014 (23,6 M$ soit 16,4 M€).
Assurer le coût de revient
La Financière agricole du Québec a également mis en place un programme complémentaire spécifique à sa province doté de 650 M$ par an (451 M€). Dénommée « assurance stabilisation des revenus agricoles » (Asra), elle protège 11 184 exploitations à travers la Belle Province (c’est-à-dire le Québec) contre les pertes de revenus imputables aux fluctuations des coûts de production et des prix du marché. Pour déterminer le « prix stabilisé », La Financière agricole calcule un coût de production pour une ferme type. Si le prix de vente baisse en dessous de ce « prix stabilisé », les producteurs assurés reçoivent alors la différence. « Il n’existe pas de plafonds en termes de volume en revanche, l’intervention ne peut excéder l’enveloppe de 650 M$ annuelle avec une répartition selon les productions », précise André Picard. Ce fonds spécifique au Québec a déjà été déficitaire : « De plus de 1 milliard de dollars en 2009 », se souvient le directeur de La Financière agricole. Pour éviter cela, il a fallu adapter l’Asra en la réservant à certaines productions. Pour les productions d’élevage, l’Asra couvre les agneaux, les broutards, les porcs et porcelets et les veaux. Pour les cultures, elle est limitée aux cultures de rente (avoine, blé, canola, maïs grain, orge, soja), aux pommes et aux pommes de terre.
Épargne
À ces programmes principaux s’ajoutent des assurances de type « épargne » comme « Agri-investissement ». En échange d’une certaine somme déposée, l’agriculteur récupère une contrepartie, d’un montant équivalent (il dépose 200 $ et récupère 400 $). Les contributions sont de 1 % de ventes nettes annuelles jusqu’à un maximum de 1,5 M$. Toutes les productions sont admissibles, à l’exception des produits sous gestion de l’offre (volailles, lait, œufs).
Une conditionnalité « light »
Chaque province est libre de légiférer en matière d’environnement. La plupart du temps, c’est le marché qui oriente les conditions de productions et les labels. Pour autant, certaines provinces, comme celle du Québec, ont choisi de mettre en place une « écoconditionnalité ». Ainsi pour bénéficier des programmes d’assurance proposés par La Financière agricole, les agriculteurs doivent disposer d’un « bilan phosphore conforme » établi par un agronome et avoir des « bandes riveraines » (ces surfaces ne sont pas assurables). Enfin, les surfaces déboisées ne peuvent pas faire partie des surfaces assurables.
Nous aidons les agriculteurs qui ont de bonnes perspectives économiques
André Picard, directeur de La Financière agricole du Québec
Le système assuranciel, qui existe depuis les années soixante au Canada, est utilisé par la grande majorité des agriculteurs. Le coût pour chacun d’entre eux représente environ 11 % de la valeur assurée pour leur entreprise. « Nous aidons les agriculteurs qui ont de bonnes perspectives économiques », résume simplement André Picard.
Le nouveau gouvernement arrivé au pouvoir ne souhaite pas le remettre en question, même si des ajustements « à la marge » sont probables. En attendant, l’intérêt de ces programmes pour les producteurs n’est plus à démontrer, même si après plusieurs bonnes années la tentation est forte de « faire sans ». Mais, comme le dit si bien Julien, « la misère peut être devant ».