La soixantaine passée, Richard Rey a les yeux qui pétillent à la vue de la dizaine de journalistes français venus visiter sa ferme. Située sur la commune de Saint-Claude, au cœur du Manitoba, l’exploitation s’étend sur « deux sections et demie », soit l’équivalent de 750 ha. « Nous avons 200 mères de race red angus et simmental rouge », explique l’éleveur, auxquels s’ajoutent une trentaine de trotteurs de course, la « vraie passion de Richard ».
Richard et sa femme Janet travaillent seuls sur l’exploitation depuis leur mariage en 1976. Ils ont eu trois enfants, « qui ne sont pas plus intéressés que cela pour prendre la relève ». Il faut dire que la conjoncture économique de ces dernières années n’a pas été pas vraiment favorable. « Pour faire vivre deux familles, il faudrait 300 vaches. D’ailleurs, si je n’avais pas vendu mes quotas laitiers il y a 10 ans, le banquier serait mon meilleur ami », plaisante Richard.
Pour faire vivre deux familles, il faudrait 300 vaches. D’ailleurs, si je n’avais pas vendu mes quotas laitiers il y a 10 ans, le banquier serait mon meilleur ami.
Richard Rey, éleveur à Saint-Claude, Manitoba (Canada)
4 millions de têtes dans l’Ouest canadien
Ce passionné d’élevage n’échangerait pour rien au monde « ses vaches contre des tracteurs ». Il est l’un des rares éleveurs du coin, beaucoup ayant préféré convertir leurs terres en grandes cultures. Quatre millions de vaches allaitantes peuplent le Grand Ouest canadien. 75 % de la production de viande bovine se concentrent en Alberta et au Saskatchewan. Les 25 % restants sont répartis dans les autres provinces.
Au Canada, les troupeaux passent l’hiver dehors, malgré les températures bien en deçà de zéro et la neige. Les vêlages s’étalent de la mi-décembre au début de mars. « Les mères sont rentrées 2-3 jours avant et ressortent 2-3 jours après ; le reste du temps, elles vont au parc », confirme Ganet. Les veaux sont vendus à l’automne à « un acheteur québécois, qui recherche la qualité ». Le prix d’un veau de 250 kg tourne « autour de 1 700 piasses ($CAD, ndlr), même si à l’automne dernier il est descendu à 1 200 piasses ». Il y a eu de plus mauvaises années, souffle l’éleveur, qui estime son coût de revient par veau à 800 $.
Du ranch au feedlot
Une fois vendus, les veaux partent pour un premier cycle d’engraissement (cycle de semi-finition) avant de rejoindre des feedlots aux alentours d’un an. Ils pèsent alors entre 315 et 430 kg. Ils y resteront environ six mois, pendant lesquels ils seront nourris avec du foin et des céréales (orge, maïs), jusqu’à ce qu’ils atteignent le poids du marché.
Au Canada, on dénombre environ 68 000 ranchs et 67 000 feedlots. « Mais il est difficile d’opérer une vraie distinction, car certains éleveurs font les deux », explique John Masswohl, directeur des relations avec les institutions pour l’Association des éleveurs canadiens (éleveurs de bovins). Les propriétaires de feedlots achètent des veaux ou des bovins d’engraissement aux ranchs ou les engraissent à forfait pour des clients en échange d’un paiement à l’acte. Selon leur poids quand ils arrivent au feedlot, les bovins sont habituellement prêts pour le marché entre l’âge de 12 et 24 mois et pèsent entre 460 et 600 kg.
La moyenne des feedlots dans l’Ouest canadien compte 10 000 places, soit une production de 20 000 têtes par an qui sont vendues aux deux principaux opérateurs d’abattage et de revente au Canada : Cargill et GBS. « Un propriétaire de feedlots me disait récemment qu’il serait content s’il arrivait à faire un bénéfice de 30 $ par tête », détaille John Masswohl, pour qui la grande inconnue reste le prix. Et pour l’instant, le marché est en baisse.
Conjugués avec le manque de relève agricole, la baisse de la démographie et l’attrait pour les grandes cultures, nous avons perdu 1 million de têtes en 10 ans.
John Masswohl, directeur des relations avec les institutions pour l’Association des éleveurs canadiens.
90 % de la production orientée vers l’exportation
Avec le premier cas d’ESB en 2003, les marchés à l’exportation se sont fermés d’un coup. S’en sont suivies plusieurs mauvaises années. « Conjugués avec le manque de relève agricole, la baisse de la démographie et l’attrait pour les grandes cultures, nous avons perdu 1 million de têtes en 10 ans », explique John Masswohl. « Mais l’objectif reste d’augmenter la production. »
Les éleveurs canadiens sont « pro-libre-échange » et pour cause : 90 % des fermes dépendent des marchés à l’exportation. Parmi leurs principaux marchés, on retrouve les États-Unis, le Japon, le Mexique, Taïwan ou encore la Chine. « Nous vendons nos découpes à ceux qui payent le plus cher », résume simplement le représentant de l’association des « cattlemen » (hommes de troupeaux en traduction littérale). Les marchés sont très importants et les difficultés à l’OMC ces dernières années ont poussé les éleveurs à être proactifs pour la conclusion d’accord de libre-échange comme le partenariat transpacifique (TIPP) ou encore le Ceta (accord de libre-échange entre le Canada et l’UE).
Une production sans hormones
Problème : pour entrer sur le marché européen, les canadiens doivent développer des filières sans hormones. Or, l’utilisation des technologies de croissance est quasi systématique. Les naisseurs comme Richard administrent une première injection d’hormones à la sortie en pâture des veaux. « Cela permet de faire prendre une centaine de livres au veau à la fin (un peu moins de 50 kg, ndlr) », justifie Richard. Avant l’abattage, un bœuf recevra encore deux piqûres d’hormones.
Le Canada produit actuellement entre 30 000 et 35 000 tonnes de bœuf sans hormones chaque année pour son marché intérieur, « un marché de niche ». Pour que cette nouvelle filière soit rentable à plus grande échelle, il lui faudrait produire 500 000 tonnes. « Pour l’instant, aucun indicateur de marché ne montre que nous avons intérêt à produire sans hormones », souligne John Masswohl. La production de bœuf sans hormones augmente le coût de production de 20 % car, sans les technologies de croissance, le passage en feedlots est deux fois plus long (5 mois d’engraissement supplémentaire et deux hivers).
Or, le marché européen, qui s’ouvrira si le Ceta est ratifié, n’ouvre un contingent que de 45 840 tonnes qui s’ajoutent aux 15 600 tonnes déjà accordées pour les viandes dites de « haute qualité » en provenance de l’Amérique du Nord (Canada et États-Unis). « Mais si les consommateurs européens payent, nous sommes prêts pour produire de la viande de qualité et sans hormones », s’exclame John Masswohl.