En ce matin d'automne brumeux, le balai des remorques est incessant entre les barres d'immeubles de Malacky, une petite ville située au bord du principal axe routier de la Slovaquie, à une heure de route de Bratislava. Tous ces tracteurs ont le même objectif : délivrer leur cargaison de maïs fraîchement ensilé à la ferme Agra M.

Nous avions visité cette exploitation en 2005, lorsqu'elle occupait encore les locaux austères de l'ancienne ferme d'Etat, au milieu des champs de pommes de terre. Dix ans plus tard, une zone pavillonnaire a remplacé la plupart des champs et les bâtiments d'origine ne servent plus que de dortoirs pour les salariés et de hangars à matériels. Il faut faire dix kilomètres supplémentaires dans les bois pour trouver des bâtiments d'élevage à perte de vue.

Environ 2 500 vaches laitières sont élevées sur ce site, dont la construction a été subventionnée par l'Union européenne, comme l'indique une plaque affichée à l'entrée. Mais pour nous, impossible d'aller plus loin que les bureaux d'accueil : les bâtiments ne sont plus visités depuis deux ans afin de limiter les risques sanitaires, nous dit-on.

Plus que les installations, c'est la structure même de cette exploitation qui interpelle. Car ici, les jeunes entrepreneurs slovaques qui avaient repris la ferme d'Etat lors de l'effondrement du bloc soviétique ont cédé la place à des investisseurs danois en 2006.

CAPITAUX DANOIS

La ferme de Malacky appartient depuis au groupe scandinave FirstFarms, qui s'est fait une spécialité de produire du lait, du porc et des céréales en Slovaquie et en Roumanie. Grande perdante de la division de l'ancienne Tchécoslovaquie, la Slovaquie est réputée pour être très accueillante avec les investisseurs étrangers et ne pas être trop exigeante sur les critères d'achat des terres. Une aubaine pour les agriculteurs-investisseurs de FirstFarms, qui ont atteint une taille critique au Danemark et ne peuvent plus se développer dans leur pays aux surfaces agricoles limitées.

En trois ans, de 2006 à 2008, les six agriculteurs de FirstFarms ont fait l'acquisition de trois fermes dans le secteur de Malacky : Agra M., Mast Stupava et Mlyn Zahorie. Ces exploitations sont distantes d'une trentaine de kilomètres. Du point de vue logistique, elles sont idéalement placées sur l'axe Brno-Bratislava, ce qui permet d'écouler la production en Slovaquie et en République tchèque.

La structure slovaque compte 8 000 vaches, dont 2 500 en lactation. L'objectif des Danois est de parvenir assez rapidement à 3 000 laitières pour optimiser l'utilisation des nouveaux bâtiments construits en 2011.

Parallèlement, les trois fermes exploitent près de 10 000 hectares dans les environs, dont une partie importante est consacrée au maïs ensilage pour nourrir les vaches. Environ 1 000 hectares sont dédiés à la culture de la pomme de terre, qui est la base de l'alimentation des Slovaques.

MÉTHODES DANOISES

A Malacky, les agriculteurs danois ne se contentent pas d'apporter les capitaux et de gérer la ferme : ils sont présents sur le terrain pour mettre en place les techniques qui ont fait leurs preuves dans leur pays. Les chefs de culture ou d'élevage sont donc des ingénieurs danois ou allemands expérimentés. Pour les emplois plus faiblement qualifiés, Agra M. privilégie la main-d'oeuvre locale mais la concurrence est rude. L'immense usine Volkswagen, située à proximité, offre des conditions de travail plus agréables, surtout en hiver où le thermomètre peut descendre sous la barre des - 20 °C. FirstFarms a donc de plus en plus recours à de la main-d'oeuvre en provenance des Balkans, recrutée directement dans ses fermes roumaines.

- Main basse sur les exploitations roumaines. L'appétit des agriculteurs danois ne s'arrête pas aux frontières de la Slovaquie. FirstFarms possède près de 7 000 hectares en Roumanie, avec l'objectif d'y produire du porc en grande quantité. L'acquisition des terres étant plus réglementée qu'en Slovaquie, toutes les parcelles ne sont pas encore exploitées.

- Accusés de destabiliser le marché. En Slovaquie, l'appétit de FirstFarms, qui est systématiquement présent sur toutes les ventes de terres à 100 km autour de Malacky, commence à inquiéter les agriculteurs du cru. Avec ses méthodes modernes de production et sa capacité d'investissement qui semble illimité, FirstFarms est accusé de déstabiliser le marché et de faire baisser le prix du lait. Les Danois, eux, étudient la possibilité de monter un élevage de porcs dans le secteur.