Une odeur inhabituelle se dégage des champs de David Peschard, installé depuis huit ans dans le Loir-et-Cher. Une plante insolite dans un paysage où se font concurrence le blé, le colza et le tournesol. La récolte va commencer ! Sur sa ferme de 210 ha, dont la moitié est en bio et l'autre partie en cours de conversion, le jeune producteur a décidé de se lancer dans le chanvre pour l'écoconstruction. La demande en biomatériaux est présente et le marché porteur. En effet, la consommation d'isolants et de bétons issus des fibres végétales est supérieure à la production nationale.

Cette démarche correspond aussi aux convictions de ce paysan. Selon lui, l'écoconstruction est une réelle alternative aux impacts environnementaux générés par l'industrie du bâtiment : extraction de matériaux tels que le sable, utilisation d'énergie fossile, taux de déchets importants, etc. « Avec des associations bois-chanvre, on stocke du carbone. Et ce sont des matériaux recyclables. Les analyses de cycle de vie démontrent l'intérêt énergétique et environnemental de l'utilisation des biomatériaux tels que le chanvre dans la construction », explique David Peschard.

AVENTURE COLLECTIVE

David ne s'est pas lancé tout seul dans l'aventure. En 2009, suite à une demande de litière de chanvre de la part d'un industriel, la chambre d'agriculture départementale a lancé un programme de formations, qui comptabilise encore moins de 10 000 ha en France.

Six agriculteurs ont décidé de s'associer pour produire du chanvre, le transformer et vendre les produits finis. Bénéficiant d'un accompagnement de la chambre de commerce et d'industrie, de la chambre des métiers et de l'artisanat et de la chambre d'agriculture, ainsi que d'aides européennes, ils ont créé en 2010 la SARL des chanvriers blaisois. De 3 ha, ils sont passés à 50 ha en 2013. David a décidé d'en produire 12 ha sur sa ferme. « Le bouche-à-oreille a bien fonctionné, la demande était présente. » La hausse des surfaces était nécessaire pour rentabiliser l'outil de récolte sous-traité, « un hybride entre une moissonneuse-batteuse et une ensileuse ». Car si aucune intervention n'est nécessaire entre le semis et la récolte, celle-ci reste l'opération la plus complexe, notamment pour les graines où le recours à un opérateur extérieur s'avère nécessaire. Après le passage de la machine, la graine est séchée et la paille, après rouissage de 2-3 semaines au champ, est pressée ou ensilée.

VALORISER EN CIRCUIT COURT

Bâtir une filière en circuit court, tel était l'objectif des six agriculteurs. Aujourd'hui, ils sont parvenus à produire et à vendre 50 % du chanvre sous ce modèle.

Une fois pressée, la paille est broyée et passée dans une unité de défibrage qu'ils ont construite. « Nous nous sommes inspirés d'un outil artisanal fabriqué par un groupe de chanvriers en circuit court : Les Chanvriers mellois. Les investissements pour acheter un tel outil de défibrage sont trop lourds, de l'ordre d'un million d'euros, et il faut une surface de 1 000 hectares pour le rentabiliser », indique David. Cette unité artisanale trie, dépoussière et calibre l'ensemble des composants de la tige et permet d'obtenir trois produits principaux : la chènevotte standard ou fibrée, la chènevotte fine et la laine de chanvre.

VENDRE LOCALEMENT

Certains clients sont de fervents utilisateurs de chanvre comme la ville de Vendôme, par exemple. « Elle nous en achète chaque année 40 m3 pour ses espaces verts », témoigne Xavier Robert, l'un des six associés de la SARL Les Chanvriers blaisois. « Le reste est vendu à des artisans et des particuliers autoconstructeurs de la région », complète David. La SARL commercialise des sacs de chènevotte au détail de 100 l, 200 l ou 1 m3 et des fibres en ballot de 10 ou 150 kg.

« Pour fonctionner entièrement en circuit court sur des surfaces interréssantes, il nous faudrait plus de temps pour démarcher et trouver de nouveaux clients », tempère David. C'est pour cette raison que la SARL travaille en partenariat avec Agrochanvre et la Cavac, ce qui permet d'élargir la gamme de produits en proposant, par exemple, du chanvre en panneau.

GRAINE BIO

Actuellement, David estime à 550 €/ha environ le produit de ses ventes de paille pour l'écoconstruction. La graine est aussi valorisée telle quelle ou sous forme d'huile bio en vente directe : marchés, Amap, ruches, magasins spécialisés, etc. Le chiffre d'affaires issu de la vente des graines en bio est évalué à 1 600 €/ha et les charges opérationnelles approchent 530€/ha. « L'huile de chanvre est très équilibrée en oméga 3 ou 6 et elle en contient 3 fois plus que le colza », atteste David. Un atelier de pressage à froid permettant de conserver la qualité des huiles est en cours de construction, dans un bâtiment en chanvre bien entendu ! Le quinoa, le lin, l'huile de caméline, de colza ou de tournesol seront ainsi vendus et pressées à la ferme.

DES PROJETS À LONG TERME

La SARL et d'autres agriculteurs de la région Centre-Val de Loire participent également au développement d'une filière à l'échelle régionale pour répondre à la demande des industriels du bâtiment. « Nous pourrions envisager une cinquantaine d'hectares dans les 6 départements. Ce qui nous permettra de disposer d'une machine de récolte, confie David. Il y a un réel potentiel dans un contexte de transition énergétique. « A long terme, construire en chanvre revient moins cher car ses propriétés isolantes sont meilleures : plus résistant, plus confortable été comme hiver, plus durable, se tassant moins et agissant comme répulsif des rongeurs et insectes ». Avec de telles quantités produites, les partenariats avec des industriels comme Agrochanvre et la Cavac pour l'étape de la transformation seront poursuivis.