« Les sécheresses se répètent : 1990, 2003, 2011, 2015. Et à l'échelle d'une journée, les variations de température sont intenses, de l'ordre de 10 °C », raconte Dominique Bordeau, le regard sérieux. Brin de paille coincé entre les lèvres et chemise à carreaux, il élève ses vaches en Mayenne sur une ferme où il essaye de réintroduire une diversité végétale.
Des inquiétudes relevées aussi par un agriculteur des marais du Cotentin, en Basse-Normandie. « Avec l'élévation du niveau de la mer, nous allons devoir nous retirer. Mais seulement où ? » La communauté scientifique, et notamment le Giec (1), confirme les observations de ces agriculteurs qui vivent au quotidien le dérèglement climatique. Ce dernier est attribué à l'accroissement des émissions des gaz à effet de serre (GES) résultant des activités humaines, d'après la très grande majorité des scientifiques.
NANTES DEVIENDRA TOULOUSE
A l'horizon 2050, Nantes connaîtrait le climat de Toulouse et Toulouse expérimenterait celui de Barcelone. D'après l'expert national du changement climatique pour les chambres d'agriculture, Fréderic Levrault, « le dérèglement climatique se manifeste essentiellement par une augmentation des températures, un durcissement des conditions hydriques et un renforcement de la variabilité, avec des conséquences notables sur les systèmes agricoles ». La région de Montpellier, par exemple, a enregistré une croissance de la température moyenne estivale de 2,3 °C depuis trente ans. Ainsi, avec l'augmentation de l'évapotranspiration en plaine, la perte globale de production agricole a été estimée par l'Inra à 0,9 t de MS par ha, soit 11 % (2).
SYNERGIES À TROUVER
Mais d'une manière générale, l'évolution du climat tend vers une accentuation de la variabilité. « C'est justement cette instabilité interannuelle qui perturbe la lecture d'une réelle tendance sur le long terme », précise Frédéric Levrault. L'incertitude commande et les agriculteurs n'ont d'autre alternative que de s'adapter à ces transformations et d'en modérer les conséquences. La recherche de synergies entre les actions d'atténuation et d'adaptation est à privilégier, l'agriculture contribuant à 20 % des émissions nationales de GES en prenant en compte l'énergie fossile utilisée (2). Mais elle peut aussi remplir des fonctions de puits de carbone dans les sols et la biomasse. Si le réchauffement dépasse les 2 °C, les conséquences seraient irréversibles. Tous les étés pourraient être presque aussi chauds qu'en 2003, d'après le Giec. La durée de vie du CO2 dans l'atmosphère étant d'environ 120 ans, une partie du mal est fait. Alors il est temps d'agir.
QUANTIFIER LES IMPACTS
« Mais pour agir, il faut d'abord démontrer la réalité du changement climatique », souligne Frédéric Levrault. « Il y a, en effet, la nécessité de qualifier et quantifier les impacts, explique Nathalie Bréda, coordinatrice du programme "Adaptation au changement climatique de l'agriculture et de la forêt ", lancé en 2011 par l'Inra. L'objectif est de traduire l'impact des forçages climatiques (rayonnement, pluie, température, humidité et teneur en CO2) sur l'agriculture. Nous utilisons les prévisions du Giec et les scénarios de climat futur élaborés par les climatologues pour faire tourner les modèles de culture. Ces derniers modélisent le développement des cultures en fonction des paramètres agronomiques : climat, sol et pratiques agricoles. On peut alors estimer des rendements, des dates de récolte, etc. »
Le projet Climator évalue ensuite les impacts possibles selon diverses hypothèses pour le climat futur à une échelle régionale. « Malgré les fortes incertitudes sur ce que sera le climat futur et les divergences entre les modèles de culture, ces modèles nous permettent de dégager des tendances, comme la forte contrainte sur l'eau », précise la chercheuse. L'Observatoire régional sur l'agriculture et le changement climatique (Oracle), porté par la chambre d'agriculture de Poitou-Charentes, est complémentaire des outils de modélisation. A partir d'un travail d'enquête réalisé auprès des agriculteurs, son objectif est de constater l'évolution du climat et ses conséquences.
Ainsi, par exemple, les observations montrent qu'au cours des soixante dernières années, le nombre moyen de jours échaudants à Poitiers, entre le 1er avril et le 30 juin, est passé d'une dizaine avant les années 1980 à une quinzaine à partir des années 1980.
(1) Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. (2) D'après le Conseil général de l'agriculture et des espaces ruraux.