Ça fourrage du côté des mélanges. Mais pour quelle raison un tel engouement ? Les prairies multiespèces, c'est d'abord la possibilité, à l'échelle du système, de réduire la consommation d'engrais et de concentrés, car elles constituent pour les bovins un fourrage riche en azote. Les légumineuses fixant l'azote de l'air, les apports peuvent même être supprimés, dès lors que la proportion de légumineuses dans le mélange est proche de 40 à 50 %.

Pour encourager l'autonomie fourragère des élevages, des aides couplées à la production de légumineuses fourragées ont été récemment mises en place, dans le cadre de la Pac. A ce jour, certaines espèces (pois, lupin, féverole, luzerne, trèfle, sainfoin, vesce, mélilot, jarosse et serradelle) sont éligibles si le mélange contient au moins 50 % de ces plantes en nombre de graines. Pour savoir si on est dans les clous, il est possible d'utiliser le calculateur du Gnis (1) [lire l'encadré ci dessous].

Mais les mélanges prairiaux, c'est aussi l'occasion de jouer sur la complémentarité des espèces. Avec au moins trois espèces de deux familles différentes (souvent graminées et légumineuses), il y a une meilleure adaptation à l'hétérogénéité intraparcellaire du sol. Elles sont, en outre, plus résistantes aux aléas climatiques : sécheresse, fortes températures, excès d'eau... Ces mélanges permettent également d'obtenir des résultats réguliers pendant toute la campagne : les graminées démarrent plus vite à la reprise de végétation et produisent plus au printemps et à l'automne, alors que les légumineuses sont plus productives en été.

21 % DE PARTS DE MARCHÉ

Pourtant, après la Seconde Guerre mondiale, la France s'était orientée vers les espèces fourragères semées en pur, alors que la Suisse, par exemple, avait fait le choix de mélanges. Il a fallu attendre les années quatre-vingt pour entendre à nouveau parler d'associations. Des régions comme le Limousin, l'Auvergne ou la Franche-Comté, où les systèmes sont moins intensifs, étaient demandeuses. Elles ont testé les graminées associées au trèfle blanc pour le pâturage. Puis, avec le développement de l'agriculture biologique à la fin des années quatre-vingt-dix, les mélanges prairiaux ont connu un nouveau regain d'intérêt. Puisque les éleveurs doivent produire sans apport d'azote minéral, ils sont donc amenés d'office à recourir aux légumineuses.

Ainsi, des travaux de recherche sur graminées et légumineuses ont débuté au cours des années quatre-vingt-dix. A quoi est venu s'ajouter, dans les années 2000, un intérêt grandissant pour les luzernes, accentué par l'inflation du coût des tourteaux.

Cependant, le mélange dans un seul sac n'a pas été autorisé à la vente avant 2004 en France. « Seules étaient commercialisées des espèces en "suremballage", que l'agriculteur devait mélanger lui-même ! », rappelle Pascale Pelletier, ingénieure régionale fourrages chez Arvalis et vice-présidente de l'Association française pour la production fourragère (AFPF). Depuis, l'offre s'est développée. Plus de 300 mélanges sont désormais proposés par les semenciers, qui s'intéressent quasiment tous à ce créneau. La part des fourragères en mélange est ainsi passée en 2012-2013 à 21 % du total des ventes de semences, contre 7 % lors de la campagne 2004-2005.

GUIDE TECHNIQUE

- L'AFPF a initié et coordonné un travail collectif national d'expertise et de synthèse (2), en 2012 et 2013, qui avait pour but de faire le point sur les connaissances acquises par la recherche et le développement. Il en résulte un document intitulé Préconisations agronomiques pour les mélanges de semences pour prairies en France, publié en janvier 2014 (téléchargeable sur www.afpf-asso.org). « Ce document s'arrête, pour le moment, à l'espèce et ne donne pas d'informations sur les mélanges, précise Pascale Pelletier. Il y a peu d'essais qui étudient l'influence d'une ou plusieurs espèces au sein d'un mélange. Mais ce texte pourra être enrichi, car il est appelé à évoluer ! »

Le document vise à aider les utilisateurs dans leur choix d'espèces. L'objectif est de constituer un mélange en cohérence avec les contraintes du milieu (sol, climat) et avec les modes d'exploitation des prairies de trois ans et plus, que sont la fauche, le pâturage ou les deux (voir le tableau ci-contre).

Quant aux prairies de plus courte durée, l'association d'une légumineuse à une graminée est souvent suffisante. Pour moins d'un an, l'AFPF conseille de privilégier du RGI (ray-grass italien) alternatif, avec du trèfle incarnat et de la vesce commune d'hiver. Pour un à deux ans, il est recommandé du RGI non alternatif, ou festulolium avec du trèfle violet. Et pour une durée de deux et trois ans, il est conseillé d'opter pour un trèfle violet associé à du ray-grass hybride (ou festulolium), voire à du brome en sol sain.

Par ailleurs, ce guide rassemble les données concernant le comportement des espèces au sein d'une association et leurs particularités biologiques dans le cadre de prairies de longue ou de courte durée. Les règles de composition des mélanges y sont également mentionnées.

LABEL FRANCE PRAIRIE

- En se basant sur ces préconisations d'espèceset surles meilleures variétés du marché (lire l'encadré Herbe-book en page 38), l'AFPF vient de créer un label spécifique aux mélanges, « France Prairie », pour promouvoir l'utilisation des associations de qualité. Il s'agit d'une démarche volontaire des semenciers, qui acceptent de respecter un cahier des charges. Certains envisagent déjà à faire évoluer une partie de leur gamme, afin qu'elle corresponde à cette dénomination. « Ce label permet à l'ensemble des acteurs de la filière de valoriser l'expertise technique sur les mélanges », complète Michel Straëbler, secrétaire général de la section semences fourragères du Gnis.

Ainsi, au 3 juillet, sept semenciers étaient engagés dans la démarche, avec vingt-neuf mélanges au total. Chacun d'eux est labellisé pour une ou plusieurs catégories, croisant les types d'utilisation et les conditions pédoclimatiques. Pour connaître les dernières mises à jour, consultez le site http://franceprairie.fr/

- Ces différents travaux ont permis de rassembler toute l'expertise française sur les mélanges prairiaux, jusqu'à présent dispersée. Les agriculteurs veulent produire de la quantité et de la matière azotée et sont à ce titre demandeurs de conseils. Ils souhaitent être accompagnés dans leur choix de mélanges. Michel Straëbler comme Pascale Pelletier insistent sur la nécessité d'un conseil technique associé à la vente de ces associations (lire l'encadré ci-contre). Or, ce dernier n'est pas toujours optimal. « Souvent il n'arrive pas jusqu'à l'éleveur », regrettent-ils.

- En attendant que ce chapitre évolue, Arvalis rappelle que pour profiter des atouts de différentes espèces, il faut tout d'abord réussir le semis. Pour ce faire, il est nécessaire d'implanter les mélanges en fin d'été ou au printemps, d'avoir un lit de semences très fin, un sol propre, ressuyé et bien rappuyé et d'intervenir à 1 cm de profondeur. Réussir son semis et mettre en place une fauche précoce, c'est également l'assurance de gérer les adventices, car les solutions de désherbage restent limitées.

(1) Groupement national interprofessionnel des semences et plants.(2) Institut national de la recherche agronomique, Gnis, Arvalis, Union française des semenciers, Chambres d'agriculture, Institut de l'élevage, Bureau technique de promotion laitière et Fourrages mieux.