La taille des populations de référence n'est pas le seul point qui différencie les races allaitantes des laitières pour le déploiement de la sélection génomique. Les organismes de sélection (OS) sont cette fois partie prenante de l'aventure. Ils ont participé au financement de Gembal, par l'intermédiaire de Races de France. « Gembal est un projet collectif destiné à faire avancer la connaissance, décrit Stéphane Patin, directeur de Races de France. Ses résultats sont considérés comme un moyen de conforter la sélection polygénique. Ils sont équivalents à l'Iboval. C'est encourageant. »
Quel sera le périmètre d'application de Gembal ? Les discussions sont en cours. « Cet outil a pour vocation de servir pour la population femelle la plus large possible, complète Stéphane Patin. Pour les mâles, tout dépendra des stratégies retenues par les OS, c'est-à-dire les éleveurs sélectionneurs et les entreprises de sélection. Race par race, ils conviendront de la population cible pouvant bénéficier du service. » Dans la majorité des cas, ces outils vont permettre de conforter le choix des veaux à l'entrée des stations.
La limousine veut combiner tous les outils
La limousine dispose d'un outil privé, Ingénomix, qu'elle a choisi, pour la voie mâle, de réserver aux veaux candidats à l'entrée à la station de Lanaud. Ce sont toujours les inspecteurs qui sélectionnent les veaux mais ils disposent maintenant des tests génomiques. Ces informations sont ensuite portées à la connaissance des acheteurs en plus des performances en station. C'est parmi ces taureaux que sont recrutés ceux qui sont testés sur descendance.
PRÉSÉLECTION DES MÂLES À L'ENTRÉE EN STATION
« Compte tenu de son degré de précision, nous considérons la génomique comme un outil de présélection des mâles, décrit Marc Gambarotto, directeur de la stratégie chez France Limousin sélection. Combiner les outils traditionnels et la génomique pour le recrutement est le meilleur moyen de progresser. Nous réfléchissons à l'utilisation de Gembal. Ce dernier donne une évaluation génomique un peu différente de la nôtre, dans la mesure où il intègre l'ascendance des animaux. Nous avons donc des informations sur le même caractère mais légèrement différentes. Nous souhaitons diffuser Gembal mais laisser le choix à nos clients entre cet outil et ceux que nous avons développés chez Ingénomix. »
Si la limousine s'est intéressée à la génomique, c'est avec en ligne de mire les qualités maternelles et l'intérêt d'appréhender ces caractères de façon plus précoce et avec davantage de précision. « Nous travaillons sur la capacité d'allaitement depuis quinze ans, sans parvenir à une amélioration sensible avec l'Iboval, rappelle Marc Gambarotto. Nous pensons que la génomique nous apportera une vision plus précise et plus précoce de ce caractère. Nous allons aussi nous pencher sur de nouveaux critères mais cela nécessite la mise en place d'une collecte d'informations supplémentaires. Nous travaillons sur la qualité du colostrum, la durée de gestation. Cependant, il faut une population de référence suffisante. »
Aucun intérêt donc, à restreindre l'accès aux outils génomiques chez les éleveurs souhaitant génotyper leurs femelles. C'est aussi un moyen d'élargir la base de sélection. « La génomique rend service à l'éleveur en lui fournissant une meilleure connaissance de ses femelles et, à nous, pour la détection de nouvelles lignées. Pour obtenir un CD de 0,3 pour une vache, elle doit avoir eu trois à quatre veaux. C'est l'âge moyen d'abattage des limousines en France. Avec la génomique, nous pouvons espérer un CD de 0,4 à 0,5 au sevrage. Pour les mâles, les stations donnent un niveau de connaissance plus élevé. »
Des jeunes taureaux charolais au catalogue
Chez les charolais aussi, les entreprises de sélection font le pari de la génomique. Charolais univers joue la carte Gembal. « Nous voulons proposer une indexation dans la continuité de l'Iboval, explique Pascal Soulas, responsable du programme Charolais univers. Nous avons participé au renforcement de la base de référence Gembal par le biais de nos reproducteurs évalués sur descendance. » Les premiers jeunes taureaux devraient rejoindre le prochain catalogue. L'entreprise réfléchit déjà aux moyens de distribuer des kits de prélèvement.
UN OUTIL PRIVÉ
Gènes diffusion a déjà franchi le pas avec GD Scan, un outil qu'il a mis au point et qui propose une dizaine de predicteurs génomiques. « Le génotypage est accessible à tous les éleveurs, quel que soit leur niveau d'engagement dans la sélection », présente Sébastien Landemaine, responsable du schéma charolais chez Gènes diffusion. Egalement utilisé depuis l'été 2014 pour le recrutement des veaux du schéma de sélection, GD Scan est ouvert aux éleveurs depuis l'automne, y compris pour les mâles (voir La France agricole du 30 janvier 2015, page 40).
D'une simple touffe de poils, l'outil identifie dix prédicteurs, dont six inédits : longévité de la mamelle, fonctionnalité des trayons, solidité des membres arrière, locomotion, comportement et instinct maternel. Bien que, dans les stations, la génomique laisse planer quelques interrogations sur les méthodes d'évaluation des futurs reproducteurs, elle n'est aujourd'hui pas en position de concurrencer la précision de l'indexation polygénique des taureaux largement diffusés. « Ce sera peut-être le cas lorsqu'il y aura davantage de données et que la base de références sera enrichie », imagine Sébastien Landemaine.
L'autre enjeu de la génomique est la variabilité génétique. « Sur un animal issu d'une lignée moins connue et à l'ascendance moyenne, auparavant celui-ci était écarté à l'entrée de notre schéma. Désormais, nous allons ajouter une évaluation génomique qui confirmera ou non son potentiel et éventuellement lui ouvrira la porte », estime Sébastien Landemaine.
La blonde d'Aquitaine monte en puissance
La blonde d'Aquitaine se distingue des deux races précédentes, puisque c'est la seule qui ne dispose pas d'outil privé de sélection génomique. Qu'attend-elle de cette technologie ? « Le plus possible, répond Denis Boichon, responsable génétique de Midatest. Nous sommes en train de faire l'apprentissage de ce nouvel outil. Il y aura plusieurs étapes. Actuellement, c'est un outil pour affiner le recrutement en amont des stations de contrôle individuel. Cela représente environ 200 veaux par an. »
Autre objectif, évaluer si la sélection génomique peut, un jour, prendre le relais de celle sur descendance, à l'instar de ce qui a eu lieu pour certaines races laitières. Là encore resurgit la taille de la population de référence. « Nous conduisons un travail avec l'organisme de sélection pour la renforcer, détaille Denis Boichon. Nous avons lancé une campagne pour génotyper 300 taureaux de monte naturelle par an, dont les index Iboval sont connus. » La précision du dispositif dépend aussi des index considérés, toujours en lien avec la population de référence. « Cette dernière est plus dense en informations sur les effets directs au sevrage que sur les qualités maternelles, poursuit-il. La substitution avec le testage sur descendance n'est pas possible pour le moment.
À VALORISER SUR LA VOIE FEMELLE
L'entreprise de sélection attend aussi des précisions sur les CD des index génomiques. « Nous n'avons pas d'idée précise du niveau auquel nous arriverons caractère par caractère, explique Denis Boichon. La diffusion des mâles testés est une chose mais les éleveurs utilisent aujourd'hui des taureaux non évalués ou seulement connus sur ascendance. L'index génomique peut être bien plus précis. C'est la même chose pour la voie femelle. Ces outils seront mis à disposition des éleveurs dans les prochains mois. Reste à fixer les règles d'utilisation, sous la responsabilité de l'organisme de sélection, pour tenir compte des spécificités raciales. »
Quant à envisager l'évaluation de nouveaux caractères, il est encore un peu tôt mais les idées ne manquent pas. Il serait, par exemple, possible de travailler avec les données réalisées en ferme sur la réussite à l'insémination. Les mesures en station comme la production laitière ou la préparation au vêlage sont d'autres pistes. « Les travaux sont en cours, détaille Denis Boichon. Mais pour tout nouveau caractère, nous avons besoin de mettre en place une base collecte de données. Cela nécessite du temps, sauf dans les cas comme la mortinatalité où des informations sont déjà disponibles. »