De par sa position à l'interface entre agriculture et environnement, l'aménagement paysager est un élément de plus en plus pris en considération par les exploitants agricoles. D'abord perçu comme une contrainte environnementale, puisque lié à l'obligation d'allouer des SIE à son parcellaire (lire l'encadré ci-contre), il devient chez certains un facteur de soutien à la production. Et, plus largement, un argument technico-économique de choix pour l'inscription des exploitations dans la durabilité.
AMÉNAGEMENTS VARIÉS
Les possibilités d'aménagements paysagers pérennes sont multiples. Un raisonnement à l'échelle locale s'avère nécessaire afin de retenir les éléments les mieux adaptés. Le choix se fait en lien avec l'assolement, sans compromettre les objectifs de production. Haies, talus, bosquets, arbres isolés ou en groupe font partie de la panoplie. « Depuis 2006, nous faisons face à des problèmes d'érosion et de perte de biodiversité sur les 170 ha de l'exploitation, explique Ludovic Dufour, agriculteur en grandes cultures dans le pays de Caux, en Seine-Maritime. Dans le cadre du programme Agrifaune, je me suis orienté vers la réimplantation de haies arbustives et méllifères, de bandes enherbées et autres taillis à très courte rotation (TTCR), composés de saules et de miscanthus. Le maillage représente 2 ha sur les 110 aménagés. Par exemple, un bloc de 40 ha a été redécoupé en trois de 13 ha en moyenne. Les bandes nouvellement installées, parfois longues de 500 m et de 4 m de large, sont espacées de 200 m et positionnées au niveau de lignes EDF. »
L'implantation des éléments fixes a été réfléchie en amont et intègre la taille du matériel utilisé par l'exploitant. Ce type d'aménagements a pour effet de réguler l'érosion hydraulique des parcelles et de tamponner les fuites de nitrates. Les eaux de ruissellement sont freinées et les dépôts favorisés.
Sur une surface plus réduite, Perrine et Charles Hervé-Gruyer, maraîchers en agriculture biologique sur la ferme du Bec-Hellouin, dans l'Eure, se sont orientés vers la permaculture. « L'aménagement paysager fait partie intégrante de notre système et il est impossible de le séparer de la production. Tous les éléments sont interdépendants, explique Perrine. L'idée centrale de la permaculture est de créer un réseau de relations bénéfiques entre les diverses composantes de l'agroécosystème. »
MICROCLIMAT BÉNÉFIQUE
Partant de ce constat, après avoir acquis une parcelle de 1,2 ha en 2004, ils débutent les aménagements en 2006. « La ferme est composée de plusieurs écosystèmes très productifs, construits autour des processus écologiques et surtout de bon sens, poursuit la maraîchère. Par exemple, une forêt-jardin a été aménagée à l'extrémité Nord. Elle est composée de diverses espèces d'arbres fruitiers et d'arbres fixateurs d'azote. En plus de produire des fruits et de la biomasse, elle a un effet brise-vent. Ce qui crée un microclimat. » De même, une île et un réseau de mares ont été aménagés. « Le soleil se reflète dans l'eau et les pierres placées au fond captent la chaleur et la restituent, poursuit-elle. La température et l'humidité augmentent et les cultures sont irriguées naturellement par capillarité. »
Une autre zone en agroforesterie offre de l'ombre aux cultures. Plus globalement, on observe sur l'exploitation de nombreux arbres et des haies, créant un microclimat bénéfique. L'idée est aussi de recourir à des aménagements de différentes hauteurs, avec des strates arborescentes, arbustives et herbacées, offrant à la faune et à la flore une diversité d'habitats. Ce qui conforte les processus biologiques.
L'autre atout des aménagements paysagers est lié à la biodiversité qu'ils accueillent. Refuge pour la faune sauvage, ils permettent de réguler les bioagresseurs des cultures. « Depuis la réimplantation de haies et bandes ligno-cellulosiques dans mes parcelles, j'observe davantage de petite faune sauvage, comme la perdrix grise ou le faisan, commente Ludovic Dufour. C'est spectaculaire de voir le milieu naturel se réapproprier l'espace rapidement. »
DIVERSITÉ FONCTIONNELLE
David Rolland, chargé de mission Agrifaune à la Fédération des chasseurs 76, ajoute que « les oiseaux ordinaires de plaine bénéficient également de ces aménagements. Les quantités d'animaux sauvages y sont plus grandes car ils y réalisent leur cycle de développement. De par l'effet tampon des éléments fixes, les espèces souffrent moins les années aux conditions climatiques difficiles. Et les années clémentes, les populations augmentent davantage. » Réalisant des relevés sur l'exploitation de Ludovic Dufour, ferme pilote Agrifaune, David Rolland a également vu augmenter le nombre d'insectes. « Une espèce telle que le miscanthus accueille de nombreux carabes et beaucoup d'invertébrés. C'est l'équilibre proie-prédateur qui se remet en place. » Ainsi, un maillage d'aménagements sur la parcelle permet aux populations de carabes de quadriller l'espace et de réduire la pression des ravageurs. Plus largement, la diversité et la quantité d'espèces augmentent. La recherche a montré que les espèces auxiliaires sont plus importantes que celles des ravageurs. Cela conduit à la réduction, voire à l'abandon, de l'utilisation d'insecticides, et a fortiori à un avantage économique pour l'agriculteur.
A la ferme du Bec-Hellouin, la biodiversité rendue possible par les aménagements topographiques est un élément clé de soutien à la production. « La faune et la flore sont abondantes, on observe de nombreuses espèces, s'exclame Perrine Hervé-Gruyer. Les multitudes d'oiseaux et d'insectes offrent une régulation naturelle des ravageurs. Il y a beaucoup de batraciens, couleuvres, carpes ou hérissons, qui se nourrissent de limaces par exemple. Ils participent à l'équilibre du système. »
La richesse des aménagements rend possible les échanges entre les éléments fixes du paysage. « Les lisières entre les écosystèmes sont particulièrement riches. Dans ces zones, les interactions sont décuplées, les avantages des deux milieux se côtoient », souligne la maraîchère.
Outre les services de régulation rendus par ces aménagements, Ludovic Dufour, Charles et Perrine Hervé-Gruyer insistent sur la beauté du paysage. Tous trois semblent partager le même point de vue et décrivent cette diversité comme un élément important pour leur bien-être quotidien.
VALORISATION DES PRODUITS
Les surfaces d'intérêt écologique sont parfois perçues par les agriculteurs comme des zones concurrentielles pour la production agricole. Pour Ludovic Dufour, ce n'est pas le cas : « Depuis l'implantation des haies et TTCR sur l'exploitation, nous n'avons pas observé de décrochement dans les rendements. Au contraire, ils progressent. Ceci dit, c'est un tout. En plus des aménagements, j'apporte au sol du compost régulièrement et me tourne vers les TCS. En outre, je valorise les produits issus de mes TTCR en biomasse. Ils alimentent une chaufferie domestique. »
Les aménagements paysagers ont également été bénéfiques sur la ferme du Bec-Hellouin. Une étude menée par l'Inra depuis 2011 cherche à évaluer la productivité de leur système de permaculture. Les résultats de la campagne 2012-2013 montrent un chiffre d'affaires de 32 000 € pour 14 130 € de résultat, sur 1 000 m2 et avec 1 400 heures de travail annuel. Pour la campagne 2013-2014, le chiffre d'affaires progresserait autour de 50 000 €.
« Pour notre système de culture, nous produisons de grandes quantités de biomasse, que l'on réduit en mulch. Il est ensuite épandu sur le sol pour le fertiliser et contrôler les adventices. On trouve par exemple de l'osier ou du frêne dans les zones aquatiques. Ces espèces produisent de grandes quantités de biomasse valorisée en tant que bois fertilisant et comme fourrage. Quant aux arbres et haies plantées sur la ferme, ce sont systématiquement des fruitiers.