Si l'apparition de résistances des adventices aux herbicides n'est pas nouvelle, elle semble s'amplifier ces dernières années. C'est le résultat inéluctable de l'adaptation des populations de mauvaises herbes à la pression de sélection exercée par les produits de désherbage. Ces derniers éliminent les plantes sensibles et privilégient donc les plantes résistantes.
« Les herbicides ne fabriquent pas la résistance mais ils la révèlent : avant toute application herbicide, des plantes résistantes sont déjà présentes en très faible fréquence dans les populations d'adventices », précise Christophe Délye, de l'Inra de Dijon. Les applications d'herbicides favorisent la reproduction des plantes résistantes : au fil des traitements, leur proportion dans les populations d'adventices augmente, jusqu'à provoquer une perte de contrôle. Or, les mauvaises herbes ont un effet direct sur le rendement de la campagne en cours et un effet indirect sur les campagnes qui suivent, avec la constitution d'un stock semencier et des durées de vie variables allant d'une année à plus de dix ans.
La résistance à la famille chimique des inhibiteurs de l'ALS (acétolactate synthase) est la plus récente et la plus répandue. La généralisation de l'utilisation de cette famille d'herbicides, notamment les sulfonylurées, dans toutes les cultures engendre une explosion des cas. Il faut dire que ces produits « à succès » ont un atout de poids dans le contexte d'Ecophyto : faible grammage à l'hectare, faible écotoxicité, large spectre d'action, bonne efficacité en absence de résistances... Quant aux problèmes de résistance liés aux produits inhibiteurs de l'ACCase, on les connaît depuis les années 1990-2000.
TROIS ESPÈCES EN HAUT DU PODIUM
Le vulpin et le ray-grass présentent des cas avérés de résistance aux herbicides et ce phénomène est en expansion en France (voir l'infographie ci-contre). « D'année en année, les résultats en sortie d'hiver des inhibiteurs de l'ALS s'amoindrissent sur ces deux graminées », confirme Arvalis.
Depuis 2007, des situations de coquelicots résistants apparaissent dans de nombreuses régions (voir carte page 54). C'est le problème qui s'étend le plus vite à cause notamment de sa formidable capacité de grenaison (jusqu'à 100 000 graines par plante). « Pour le coquelicot, on a encore des solutions de lutte, par exemple avec les hormones, le bromoxynil et l'ioxynil, relativise Christophe Délye. Cependant, l'ioxynil sera interdit à la commercialisation à partir de février 2015 (lire page 56). Et il existe des cas de résistance aux hormones en Italie, en Espagne et en Grèce en céréales. La vigilance est donc de mise. »
Localement, d'autres résistances émergent, notamment sur graminées, dans les systèmes céréaliers peu diversifiés, avec peu de travail du sol.
On distingue ici deux catégories d'espèces : celles pour lesquelles la résistance est confirmée mais peu répandue (folle avoine et agrostis jouet du vent) et celles pour lesquelles les premiers cas de résistance ont été signalés : « Le plus inquiétant, c'est la résistance du brome aux inhibiteurs de l'ALS, dont le premier cas avéré est apparu en 2010 en Bourgogne. En effet, cette famille chimique est la plus efficace sur cette mauvaise herbe », souligne Christophe Délye.
Dans l'ouest de la France, des cas de matricaire et stellaire (ou mouron des oiseaux) résistantes sont ponctuellement répertoriés. « La matricaire résistante est un problème qui progresse davantage que la stellaire », précise le spécialiste. Et pour la première fois, la présence de séneçons résistants également aux inhibiteurs de l'ALS a été démontrée sur grandes cultures en Bretagne.
LES HERBICIDES RACINAIRES BIENTÔT CONCERNÉS ?
« L'avenir de la résistance, ce sont les herbicides racinaires », ironise Christophe Délye. En cas d'une résistance non liée à la cible (lire l'encadré page 52) avec des herbicides foliaires, on risque d'augmenter la pression sur les produits racinaires tels que Fosburi, Défi..., qui s'appliquent à l'automne. Une situation à surveiller sur vulpin et ray-grass. « Le risque de résistance pour les herbicides racinaires sur vulpin et ray-grass est accru quand il y a une résistance non liée à la cible, confirme le chercheur. Ça ne veut pas dire qu'il est de 100 %, ni qu'il est nul quand il n'y a pas de résistance non liée à la cible. »
Des recherches sont actuellement en cours à l'Inra et Arvalis pour mieux comprendre le mécanisme de résistance non cible sur ray grass, majoritaire dans les parcelles. L'objectif est aussi de mettre au point un test de détection rapide, à réaliser avant la mise en oeuvre du traitement. Les tests permettent de confirmer le fait qu'une plante est résistante (lire l'encadré page 54). Il intervient après s'être assuré que les échecs de désherbage ne sont pas liés à de mauvaises conditions d'application de l'herbicide (adventice trop développée, hygrométrie trop basse...).
COMBINAISON DE PRATIQUES
Désherbage exclusivement chimique, un seul herbicide utilisé et un seul mode d'action utilisé très fréquemment : la sélection de résistances dans une parcelle découle de cette combinaison de pratiques à risque. Elle arrive encore plus vite en cas de monoculture, de traitement tardif sur des mauvaises herbes développées (en curatif) et en réduisant les doses.
Cette typologie de parcelle peut sembler caricaturale mais il se trouve que les nouveaux cas de résistance et les cas les plus sévères viennent le plus souvent de parcelles conduites selon ces principes. Avec des pratiques de désherbage moins extrêmes, une résistance peut très bien être sélectionnée mais cela prend davantage de temps. Par ailleurs, l'aptitude à résister est transmise à la descendance par les semences et le pollen, si bien que la résistance peut coloniser les parcelles alentours. Ne pas nettoyer la moissonneuse-batteuse avant d'aller dans d'autres parcelles saines augmente la dissémination.
Il convient d'assurer une gestion raisonnée des herbicides pour préserver plus longtemps leur efficacité, sachant qu'une fois installée, la résistance est là pour longtemps (des années voire des décennies) et que de nouveaux modes d'action ne sont pas près d'être mis sur le marché (lire page 56). Ce raisonnement est valable non seulement dans les parcelles de céréales mais aussi à l'échelle de la rotation des cultures. « Il est illusoire d'imaginer prévenir les résistances mais on peut envisager retarder leur évolution », prévient le spécialiste de l'Inra. Avec pour mots d'ordre : frapper vite et fort et diversifier le désherbage.
Pour ce faire, il faut désherber le plus tôt possible pour préserver le rendement, en traitant au bon stade et dans les meilleures conditions d'application pour avoir une efficacité maximale.
VISER 100 % D'EFFICACITÉ
Diversifier le désherbage signifie diversifier la rotation et les pratiques de désherbage (labour, faux-semis, semis sous couvert, binage, désherbage mécanique...). Cela implique aussi de diversifier les herbicides, en alternant les modes d'action et/ou en utilisant des mélanges contenant des substances ayant des modes d'action différents, chacune de ces substances étant employée dans le mélange à sa pleine dose efficace contre la ou toutes les adventices ciblées.
« Il est essentiel de viser 100 % d'efficacité afin d'éviter la sélection de populations à problème, en particulier les populations résistantes métaboliques (détoxication), beaucoup plus problématiques que celles présentant des résistances liées à la cible », souligne Lise Gautellier Vivioz, d'Arvalis. Par exemple, pour prévenir la résistance des dicotylédones en céréales à paille, « des produits de désherbage précoce comme Foxpro D+ (bifénox, ioxinil, MCCP-P) ou Brennus + (bromoxynil + ioxynil) peuvent s'intégrer à un programme antigraminées et assurer une efficacité de 80 à 90 % sur coquelicot et matricaire dès l'automne », estime la spécialiste d'Arvalis. Des solutions qui ne pourront plus être utilisées une fois l'ioxynil interdit à l'utilisation.
RÉINVESTIR DANS LES PROGRAMMES D'AUTOMNE
Des herbicides de sortie d'hiver comme Picotop (picolinafène + dichlorprop-P) ou Mextra (mécoprop- P + ioxynil) sont également efficaces sur coquelicot en fin de tallage du blé. Associés à des antigraminées (type Axial pratic, Atlantis ou Archipel), ils assurent un désherbage complet de la parcelle. Contre la matricaire, Bofix est aussi une option intéressante en sortie d'hiver.
Pour lutter contre vulpin et ray grass résistants, une stratégie de désherbage basée sur la seule sortie d'hiver devient aléatoire, voire franchement risquée. D'où l'urgence de réinvestir dans des programmes d'automne... quand la météo le permet. « Les doubles applications de produits racinaires à l'automne, dans de bonnes conditions, augmentent les efficacités moyennes de 15 à 20 points », chiffre Arvalis. Mais ces interventions herbicides seront considérées comme la dernière pierre de l'édifice, après la mise en oeuvre des leviers agronomiques précédemment cités.