« Abattues, les vaches ne produisaient plus de lait, ne mangeaient plus, se souviennent Hervé et Nelly Leclerc, à Saint-Calais-du-Désert (Mayenne). Après les vêlages, les lactations ne décollaient pas. » Dès l'ouverture du premier des trois silos de maïs, le 10 octobre 2013, le couple voit ses prim'holsteins et ses montbéliardes bouder l'auge et leur niveau de production s'effondrer. Entre octobre et décembre, l'état de santé du troupeau se dégrade, les têtes s'affaissent, certaines vaches se mettent à boiter avec quelques diarrhées. « La vache 332 est très représentative du yo-yo de cet hiver, estime Nelly. C'est une holstein en seconde lactation. A 32 kg au pic, sa production chute à 25,8 kg le 4 décembre. Au contrôle de janvier, elle s'effondre à 16,8 kg pour remonter à 27,6 kg après la mise à l'herbe. »

RÉFORMES ANTICIPÉES

La sanction tombe dans le tank : la moyenne d'étable chute à 6 500 kg au lieu des 7 500 kg escomptés. « Nous avons passé tout l'hiver comme ça avec des hauts et des bas, poursuivent-ils. Nous avons fermé le premier silo pour essayer le deuxième puis le troisième, mais ça n'allait pas mieux. J'ai donc ouvert celui d'ensilage d'herbe. Nous avons tenté de relancer les animaux avec du bon foin, de la luzerne, de la paille et un peu d'ensilage d'herbe puis, dès que ça allait mieux, de réintroduire peu à peu de l'ensilage de maïs. Mais sans succès. » La croissance des taurillons engraissés sur l'exploitation en pâtit aussi. Heureusement, l'absence d'hiver a permis de sortir les vaches tôt cette année, dès le mois de janvier. Mais toutes n'ont pas rejoint les prairies. Hervé et Nelly en ont réformé six de façon prématurée.

- Hervé ne voit pourtant rien dans ses silos de maïs lorsqu'il les ouvre : pas d'échauffement, pas de moisissures visibles. L'odeur est correcte. Il se souvient d'un semis au 2 mai dans des conditions normales. La récolte le 2 octobre et le chantier d'ensilage se sont bien déroulés, sans souci météorologique particulier ni de problèmes au tassage. « Nous avons un parcellaire éclaté avec 7 parcelles de maïs pour un total de 23 ha, calcule-t-il. Comme cela ne nous suffit pas, j'achète aussi 4 ha de maïs sur pied. Les bennes alimentent les trois silos alternativement pour que je puisse tasser au fur et à mesure. Peut-être qu'une seule des parcelles était mauvaise. Avec notre parcellaire et l'organisation du chantier, nous avons probablement réparti le mauvais dans tous nos silos. »

- La technicienne du contrôle laitier commence par regarder la ration de plus près, pensant qu'il peut manquer quelque chose (voir encadré). Mais rien à signaler de ce côté-là. La valeur alimentaire du contenu des silos est globalement normale. « Notre apprenti a pensé dès novembre aux mycotoxines, reprend Hervé. Il avait justement un dossier à faire sur ce sujet au lycée, mais personne n'y croyait. Au bout d'un moment il a bien fallu agir, alors nous en avons reparlé avec la technicienne. Elle était dubitative mais elle nous a dit "pourquoi pas ?" » Elle propose aussi de faire appel à son collègue nutritionniste, mais il n'aura finalement pas le temps de venir avant les résultats de l'analyse décelant la présence de mycotoxines.

- La décision de réaliser cette analyse n'est prise qu'en décembre. L'échantillon est prélevé selon les recommandations du laboratoire (voir p. 70). C'est le contrôle laitier qui se charge de l'envoyer et de réceptionner les résultats. Lesquels tombent début février : « Votre analyse décompte un total d'environ 800 ppm (1) de mycotoxines : DON, T2/HT2 et zéaralénone. Votre ration présente une multicontamination aux trichothécènes de type A, ce qui traduit une présence moyenne de mycotoxines des champs », indique le Clasel sur la base des analyses réalisée par Labocéa. Avec 560 ppm, la DON tient la tête, mais la quantité de T2/HT2 atteint 80 ppm et celle de zéaralénone est quasiment au même niveau, à 75 ppm. « Il a fallu trop de temps pour identifier le problème. Face à ce genre de difficulté dans le troupeau, il faudrait être conseillé rapidement et surtout faire des analyses très vite. Mais personne ne savait vraiment que ça pouvait être des mycotoxines », estime Nelly.

- L'exploitation repart avec un troupeau globalement plus jeune à cause des réformes prématurées. « Je pense avoir mis davantage d'ensilage de maïs au fumier que dans la panse des vaches et des taurillons, résume Hervé. Les jeunes vaches se sont remises plus vite. Les prim'holsteins sont les premières à avoir décroché. Elles ont beaucoup maigri. Les montbéliardes ont mis davantage de temps à réagir, mais une fois que ça se dégrade, leur production ne remonte pas, même si elles reprennent de l'état. Nous avons quand même réussi à faire notre quota car nous avions de l'avance. Mais nous avons acheté davantage de concentré, et administré trois hépato-protecteurs aux vaches. »

- Marqués par l'expérience de l'hiver dernier, Olivier et Nelly s'inquiètent pour la prochaine récolte de maïs. « Nous n'avons pas eu de véritable information de la part de la coopérative sur ce qu'il fallait faire ou éviter aux semis ou sur la culture, regrettent-ils. Et beaucoup de collègues restent dubitatifs. Mais nous allons voir, par exemple, comment organiser le chantier d'ensilage pour ne pas mélanger toutes les parcelles. Et nous allons également procéder à des analyses très vite, prévoit Hervé. Je vois bien qu'après les premiers vêlages, les vaches sont fatiguées comme si elles avaient du mal à se remettre. Et nous avons beaucoup plus de fièvres de lait que d'habitude. » Reste maintenant à attendre les résultats comptables de l'exploitation pour chiffrer l'ampleur réelle des dégâts.

(1) Ppm signifie « partie par million ». Ici, il s'agit de millionièmes de gramme.