Sitôt nommée ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal a affirmé vouloir « un dialogue renforcé et direct avec le mouvement associatif et les ONG ». On ne sait si le fait d'être conseillée par une ancienne directrice de la communication de Greenpeace France aidera... Mais le fait est que les associations et ONG, ex-« béquilles » du ministère, gardent avec lui des liens étroits. Elles ont leur mot à dire sur des textes décisifs et vivent de la générosité de la société et de l'Etat. Leur légitimité est admise dans la mesure où elles défendent l'intérêt public. Cependant, il est logique de se poser certaines questions.
LA QUESTION DU NOMBRE
Les adhérents et donateurs d'une organisation ne servent pas qu'à la financer mais aussi à prouver qu'elle a une partie de l'opinion derrière elle. Reste à savoir si elle la reflète bien.
Dans toute association, un contrôle démocratique est prévu. Les adhérents élisent leurs représentants et peuvent exiger des informations sur la gestion de l'association. Sauf que la majorité s'en désintéresse. Même la LPO, plus grosse association française avec 45 000 membres, en rassemble au mieux 350 en assemblée générale...
Les fondations ne comptent pas d'adhérents mais des donateurs, avec moins de droits d'information ou d'opposition. Elles peuvent toutefois injecter plus de démocratie, comme la fondation Nicolas Hulot, qui a créé un comité consultatif des donateurs. Composé de dix membres élus par les donateurs, il représente ceux-ci auprès de la direction et du conseil d'administration, où il occupe trois sièges.
Pas de distinction entre don ponctuel et adhésion chez Greenpeace : tous ceux qui donnent sont qualifiés d'« adhérents ». Dans les faits, l'organisation compte 600 « militants » (un tiers à Paris), dont la participation à des réunions et activités mensuelles laisse peu de doutes sur leur engagement. Il est plus difficile d'évaluer les convictions de ses trois millions de donateurs et d'être sûr que ceux qui donnent pour sauver les bébés phoques soutiennent aussi la lutte antinucléaire. Quoiqu'il en soit, le statut d'adhérent leur donne une voix : ils peuvent se présenter ou élire leurs représentants à l'assemblée statutaire, qui élit elle-même le conseil d'administration, si limités que soient ses pouvoirs.
Le cas d'une fédération est délicat. Le poids démographique de FNE, qui rassemble 3 000 associations (850 000 adhérents), est indéniable. Maintenir l'unité est une autre affaire. Les positions nationales sont élaborées par les réseaux thématiques, à partir des associations compétentes sur le terrain, explique la fédération. Le bureau national fait la synthèse et présente des propositions tenant compte des éventuelles divergences. Cependant, les rapports moraux d'Eaux et rivières de Bretagne montrent que les relations avec FNE sont parfois tendues. Pas facile d'être la voix de 850 000 personnes...
LA QUESTION DE L'EXPERTISE
Des scientifiques de renom apportent leur caution à des organisations. Comme à la fondation Nicolas Hulot, dont l'aura médiatique du président pourrait occulter le pédigree des membres du conseil scientifique qui la guide.
Faute d'avoir leurs propres experts, d'autres se servent de publications ou d'études commandées à l'extérieur. Ainsi, Générations futures dénonce régulièrement la surutilisation de pesticides, études scientifiques à l'appui. Greenpeace préfère utiliser des résultats scientifiques extérieurs plutôt que produire des études internes car elles « seraient considérées comme lobbyistes, donc pas écoutées », explique Marco Contiero, de Greenpeace Europe.
Quelle que soit l'option choisie, lorsque science et militantisme se croisent, le risque de dérive n'est pas loin. Même en recourant à des scientifiques présentés comme indépendants. « Si vous voulez prouver un effet des phytos, vous trouverez au CNRS le scientifique qui aura obtenu les résultats espérés avec telle dose et dans telles conditions, illustre Marcel Kuntz, chercheur au CNRS en physiologie végétale (1). Il aura le droit de communiquer sur son petit créneau de recherche mais ça peut être détourné. En outre, un message simpliste est souvent mieux entendu qu'une réalité scientifique complexe. »
Dans les commissions ou les réunions internationales, Marcel Kuntz constate que l'expertise scientifique cède le pas à « un rapport de forces ». Pour éviter que « les écologistes trustent toutes les places », il suggère : « Pourquoi une fédération internationale d'agriculteurs en production raisonnée ne pourrait-elle pas s'inviter aussi dans ce type de réunions en tant que défenseurs de l'environnement ? »
LA QUESTION DE L'ÉTRANGER
Le WWF, Greenpeace et les Amis de la terre tirent de leur réseau international une certaine respectabilité et un pouvoir de pression. « Aucune entreprise n'a intérêt à avoir le WWF sur le dos », soutient Philippe Germa, directeur du bureau français.
D'un autre côté, « des ONG peuvent constituer, au-delà de leur objet social et de la cause qu'elles défendent, les instruments de promotion d'intérêts d'Etat ou d'entreprises », écrivaient les députés Boucheron et Myard dans un rapport en 2011.
Tout dépend de qui commande. Chez Greenpeace, le bureau français obéit au bureau international, se contentant d'adapter les campagnes mondiales au cadre français. L'argument est logique : les problèmes écologiques n'ont pas de frontières, il faut les traiter à l'échelon global. Les Amis de la terre partagent cet argument mais, chez eux, les groupes locaux de militants sont autonomes. Alors qu'à la base de la pyramide de Greenpeace, les militants bénévoles ne peuvent qu'exécuter ou proposer des activités s'inscrivant dans le cadre fixé par le bureau national.
LA QUESTION DES CONTRÔLES
« Des contrôles, il y en a beaucoup, presque trop », assènent les députés Gaillard et Sermier, dans leur rapport sur la gouvernance et le financement des organisations environnementales, rendu en 2011. Agrément ministériel pour les associations, reconnaissance d'utilité publique pour les fondations, obligation d'un commissaire aux comptes pour celles qui reçoivent plus de 153 000 € de subventions, contrôles de la Cour des comptes... Le cadre est rigide. Est-ce une garantie ? Pas sûr.
« Le nombre d'organismes à contrôler et le faible nombre de contrôleurs ne permettent pas des inspections régulières et performantes », précise le rapport Gaillard-Sermier. Les ministères ne prennent pas toujours la peine de désigner un délégué au conseil d'administration des fondations, où un tiers des sièges leur est pourtant réservé, relève le rapport. Ce qui ne veut pas dire que les informations sont inaccessibles : la bonne volonté des organisations n'est pas forcément en cause. France nature environnement et la fondation Nicolas Hulot le prouvent en adhérant au comité de la charte « Don en confiance » et à ses règles volontaires de transparence et de rigueur dans la gestion des dons.
Les contrôles sont plus compliqués pour les structures mondiales. Mais les bureaux internationaux de Greenpeace comme du WWF jouent la transparence en publiant leurs documents sur internet. On y apprend que le WWF monde motive ses sponsors de luxe (le « club des 1001 ») par de fabuleux voyages dans des paradis sauvages, pour « se familiariser » avec les projets du WWF. Les simples donateurs se familiarisent en lisant des brochures.
LA QUESTION DE LA SINCÉRITÉ
Ambitions politiques, intérêts économiques... Et si l'écologie n'était qu'un prétexte ? D'autant plus facile quand on s'exprime « au nom de tiers silencieux ou absents, les "pauvres", les générations futures, les espèces animales ou végétales », relève la géographe-économiste Sylvie Brunel (2).
Qu'une organisation puisse servir de tremplin vers une carrière politique ne signifie pas l'absence de convictions écologistes : la politique peut être au service de l'écologie, bien qu'il existe un risque que ce soit l'inverse qui se produise. La professionnalisation des associations pose la question des intérêts personnels des salariés. Enfin, les sources de financement des organisations (lire l'encadré ci-contre) peuvent fragiliser leur indépendance. Mais à entendre le député Pancher, mieux vaut des organisations riches que pauvres : « On a les associations qu'on mérite. Si elles n'ont pas les moyens d'indemniser des experts de qualité et des bénévoles, on risque de se trouver face à des militants associatifs retraités et parfois déconnectés... »
Il y a des risques de dérive mais pas de franchissement de ligne rouge, conclut le rapport Gaillard-Sermier. On peut toujours s'agacer d'incohérences mais on imagine que ceux qui multiplient les trajets en avion au nom de la lutte contre les gaz à effet de serre « compensent carbone » leurs voyages... Fut-ce aux frais du contribuable.
(1) Auteur de « OGM, la question politique », aux presses universitaires de Grenoble. (2) « A qui profite le développement durable ? », paru en 2008.