Comment avez-vous vécu votre rôle de colégislateur ?

 

Je l'ai vécu pleinement. Et en matière agricole, je pense avoir réussi, à travers quelques décisions qui sont rentrées désormais dans l'histoire, à avoir fait mon boulot. Je pense évidemment aux autorisations de plantation qui remplacent les droits de plantation. Si je ne m'étais pas battu et engagé comme je l'ai fait au niveau du Parlement, en tant que rapporteur de la Pac en particulier, ce ne serait sans doute pas sorti. Sur le paquet lait, j'ai réussi à faire passer une disposition pour les produits sous signe de qualité.

Le PE est entré dans un vrai pouvoir de co-construction. Avec deux chambres. Il faut réussir à convaincre la première chambre qui est le Parlement, et la deuxième, qui est le Sénat européen, c'est-à-dire le Conseil des ministres. La petite différence qu'il y a entre le système français et le système européen, c'est qu'en France, l'Assemblée examine le texte, le texte va ensuite au Sénat puis revient. Dans le système européen, le PE vote. Le Conseil est l'équivalent du Sénat puisque le Sénat est la représentation des collectivités locales et le Conseil celle des Etats. Chaque assemblée travaille le texte de son côté, adopte une version du texte et à partir de là entre en discussion, dans ce qui s'appelle le « trilogue ».

Quelles autres avancées sont à mettre au crédit du PE dans la dernière réforme de la Pac ?

Dans la Pac, le PE a un rôle assez déterminant pour faire avancer ou modifier les choses. Par exemple, sur le verdissement. Nous avons introduit une exemption pour les petites exploitations qui ne sont pas tenues d'avoir la pluralité des cultures. La revalorisation des ICHN, c'est purement parti d'une initiative parlementaire. La Commission et le Conseil n'avaient absolument pas envisagé cette question. Dans les rapports d'initiative plus anciens, on peut prendre par exemple la question des protéines. Le Parlement avait insisté sur leur rôle et l'importance de leur refaire une place dans la Pac. On peut considérer que l'on a trouvé une première avancée dans le cadre de la réforme de la Pac puisqu'une majoration du taux de couplage est possible (2 %) dès lors qu'il y a une mesure spécifique couplée aux protéines.

Du fait du scrutin proportionnel, aucun groupe politique n'est majoritaire au sein du PE. Alors, comment se construisent les majorités sur un texte ?

C'est tout à fait ça, il faut construire les majorités. Le plus efficace est d'arriver à être rapporteur sur un texte pour lequel on accorde beaucoup d'importance. A défaut d'être rapporteur, il faut créer des liens suffisamment fins et de conscience avec le rapporteur et avec le « shadow-rapporteur » si ce n'est pas son groupe qui pilote le texte. Pour qu'il fasse sienne votre proposition. Et ensuite, la défende. Il faut échanger avec les autres groupes. Ce qui est important et bouleverse un peu les habitudes nationales, c'est que quand il y a une disposition à laquelle on tient beaucoup, il faut être sûr que les Français des autres groupes n'aillent pas voter contre. De manière à ce qu'ils soient aussi dans la capacité de défendre votre proposition auprès de leurs collègues.

Le PE a la codécision sur la Pac mais par exemple, pas sur les accords de libre-échange internationaux sur lequel il n'a qu'un droit de véto. Cela diminue-t-il votre influence ?

Quelle est la différence avec ce qu'il se passe à Paris ? Sur les traités internationaux, le Parlement national dit oui ou non. Il ne va pas renégocier ligne à ligne. Au niveau européen, c'est pareil. C'est la Commission qui négocie. Elle rend compte de manière régulière à la commission compétente du Parlement, celle du commerce international (ndlr : dont est notamment membre suppléant José Bové). Ces négociations se déroulent à huis-clos car il est clair que quand vous êtes en négociation, vous n'avez pas besoin de déballer sur la place publique toutes vos cartouches. Arrêtons le psychodrame.

D'ailleurs, quand on est en codécision on se contente aussi parfois de poser notre véto, sans négociation. On vient par exemple de refuser le paquet semences. On le renvoie globalement à la Commission européenne car on a considéré que le texte ne valait pas le coup d'être amendé. Vous voyez, le PE exerce la plénitude de son pouvoir. Il existe un seul domaine dans lequel les pouvoirs du PE sont minorés : sur les recettes du budget européen qui sont de la seule compétence des chefs d'Etat et de gouvernement.

Il reste un petit problème institutionnel. Par rapport par exemple à ce qui se passe en France. Le PE n'a pas la capacité d'initiative. On ne peut pas faire de proposition de directive (loi au niveau européen). Le PE fait des rapports d'initiative que la Commission doit prendre en compte dans ses propositions de directive. Ce n'est pas tout à fait pareil.

Les médias à destination du grand public dénoncent régulièrement des députés sous influence des lobbys. Qu'en est-il ?

Ce mot m'amuse beaucoup parce qu'il n'est utilisé qu'à Bruxelles. En France, c'est presque un gros mot. Mais moi qui ai été conseillé de plusieurs cabinets ministériels, je recevais les mêmes, ça s'appelait des consultations. Les mêmes associations de protection de l'environnement, les mêmes organisations professionnelles agricoles, les mêmes grands groupes agroalimentaires. Après, c'est la capacité des parlementaires à écouter et à faire le discernement par rapport à ceux qu'ils entendent.

Quelles sont les priorités de la prochaine mandature ?

D'abord obtenir la mise en oeuvre complète de la Pac, l'ensemble des actes délégués, dans l'esprit dans lequel on a passé l'accord politique. C'est ça le premier acte. Sur le lait, j'avais fait des propositions dans mon rapport qui n'ont pas été retenues. Le Conseil pour le coup n'en a pas voulu. J'attends avec une certaine impatience de voir ce qu'il va se passer après 2015. Un premier rapport de la Commission va être présenté en conseil des ministres en juin. Ce sera le début d'un nouveau débat. Mais je fais remarquer au passage que les organisations professionnelles, au niveau européen, ne voulaient majoritairement pas non plus d'un outil. Ce qui n'est pas le cas des organisations françaises. Là aussi, on dit, comment se faire entendre, la France ci la France ça, mais y compris dans les instances socio-professionnelles, les Français n'arrivent pas toujours à se faire entendre. Ça a été le cas par exemple pour le paquet lait pour lequel la FNSEA n'a pas réussi convaincre au sein du Copa.

En cette veille électorale, quel message passeriez-vous aux agriculteurs ?

Je veux simplement rappeler à tous ceux qui critiquent la Pac que le premier marché de l'agriculture française, c'est le marché européen. Ensuite, à ceux qui continuent à critiquer la Pac, il faut bien distinguer entre ce qui est le côté honneur ou du ressenti. On comprend ceux qui réclament des prix mais pas des aides. Mais, comme on ne vit pas tout seul au milieu d'un ilot, il faut avoir conscience que le consommateur ne veut pas payer plus cher son alimentation. Il est prêt à renvoyer sur le contribuable les 100 €/hab/an que représente la Pac. Et la remplacer par quoi ?

Le budget de la Pac pour les agriculteurs français (10 milliards par an), c'est deux fois le budget du ministère de l'Agriculture (de l'ordre de 5 milliards par an). Il faut que les agriculteurs prennent conscience qu'il est très facile de convaincre une tribune en démolissant la Pac mais qu'il n'y a aucune proposition pour la remplacer.

Il faut aussi qu'ils se souviennent que les consommateurs ne sont pas dans la même logique que les producteurs. D'ailleurs, j'observe que le consommateur, quand il est sondé sur la Pac, aujourd'hui il l'approuve majoritairement. C'est aussi parce qu'on a été obligé d'introduire un certain nombre de considérations notamment sur le plan de la protection des ressources et de l'environnement (verdissement...).

Site : www.micheldantin2014.fr