Georges Lewi, mythologue, spécialiste des marques, impute le désamour des Européens pour l'Europe à l'incapacité pour ses dirigeants à faire vivre le mythe. Il est l'auteur du livre : « Europe : bon mythe, mauvaise marque ».
L'âge d'or
• L'Europe contemporaine, celle des années 1950, a promis et délivré la paix. Elle s'est fondée sur un grand pragmatisme : l'économie. D'abord l'acier et le charbon puis, un peu plus tard, l'agriculture. La Pac fait partie de ce type de mouvance qui promet la sécurité alimentaire aux Européens et un certain bien-être aux agriculteurs qui peuvent vivre de leurs productions. L'Europe promettait aussi une certaine équité entre les pays mais aussi entre les villes et les campagnes.
• Cette promesse est un mythe universel qui s'appelle le mythe de l'âge d'or. On le retrouve dans chaque profession. L'Europe nous a promis ce que j'appelle le mythe des mythes. Nécessairement, il suscite l'adhésion surtout chez les agriculteurs qui voyaient là leur avenir assuré. Depuis les années 2000, il s'essouffle. La nouvelle génération a besoin de se projeter dans quelque chose de nouveau.
Les leviers du marketing
• Pour qu'un mythe vive, il faut qu'il se transforme en marque. La marque, c'est un repère mental sur un marché – et dans la tête des gens. Elle est destinée à créer de l'attractivité et de la valeur. Encore faut-il qu'elle sache où elle se situe et ce qu'elle promet. Puis pour se développer, elle doit utiliser les leviers du marketing.
• L'Europe est une « marque holding ». Une marque ombrelle pour les pays, à l'image de grands groupes comme Danone ou Nestlé pour leurs multiples marques commerciales. Elle a une fonction de protection et de puissance. C'est aussi une distribution équitable entre ses marques. Elle oblige à la clarté et à la proximité pour se faire comprendre de ses clients.
Défaut de communication
• L'Europe, c'est un nom unique. Mais une fois c'est la Commission, une fois c'est le Conseil, le Parlement, la Cour de justice, la BCE... Elle a un vrai souci de communication. Une marque qui n'a pas d'émetteur c'est une marque qui ne marche pas. L'Europe a manqué une marche importante en nommant Herman Van Rompuy à la présidence de l'UE. Elle aurait dû tabler sur un Tony Blair. Connu, charismatique.
• L'Europe c'est une bataille interne alors qu'elle devrait être externe. La politique de la concurrence devrait être pensée pour renforcer la puissance de l'Europe. Car une marque a pour vocation d'être leader. Ou de rester une marque de niche, mais dans ce cas il ne fallait pas s'étendre au-delà de six pays. C'est comme ça qu'on peut retrouver une satisfaction pour les Européens. Même si l'Europe est une puissance agricole. Les agriculteurs n'ont pas le sentiment d'être assez défendus pour rester les leaders.
• L'Europe n'arrive pas à choisir entre le type d'agriculture qu'elle veut défendre. Un groupe est obligé de faire des choix. Le saupoudrage budgétaire entame la puissance de l'Europe. On sent cette absence de stratégie. D'où là une défiance. Sans parler du coup de canif dans la promesse d'équité.
Quand les gens ont un manque de confiance dans une marque, ils ne l'achètent plus. Le mythe qui a derrière perd de son importance.
Créer de la valeur
• Il faut d'abord retrouver de la proximité. Il devrait y avoir dans chaque grande ville européenne, une maison de l'Europe où les citoyens pourraient se renseigner sur Erasmus, la Pac, etc. L'investissement doit se faire dans la communication. Comme il n'y a pas cette proximité, les gens s'adressent à leur député national qui a tout intérêt à mettre en valeur ce qu'il fait à l'Assemblée nationale, tape facilement sur Bruxelles et se plaint du manque de latitude. Or rappelons que tout ce qui est voté, l'est par tous les pays.
• Il faut s'emparer du segment du marketing du « masstige » : le prestige de masse, le haut de gamme accessible. C'est ce qui marche bien en économie. C'est la logique de Nespresso ou de la Suisse. La direction de la communication de l'Europe doit travailler sur cette logique, sur les signes de l'Europe, sur la promesse et le rappel que les Européens sont une vraie élite mondiale. Trouver une ou deux voies industrielles sur lesquelles, elle se met un défi de devenir leader mondial. Y compris en agriculture, on choisit les secteurs sur lesquels on décide d'être les leaders incontestés. L'Europe doit défendre ses positions coûte que coûte, comme le font les marques. De telle sorte que les Européens retrouvent une fierté d'être Européens.
• Enfin, l'Europe doit trouver un nouvel « ennemi » pour continuer de raconter son histoire. A l'époque de De Gaulle, c'était les Etats-Unis. Cela ne semble plus être le cas. Il faut en trouver un autre. Pas nécessairement un Etat. Mais peut-être la pauvreté ? L'absence d'innovation ? L'inéquité ? L'identité se forge contre. Pour faire adhérer à une promesse, il faut montrer qu'on lutte contre un fléau. Les marques fonctionnent parce qu'elles promettent de résoudre un problème que sans elles vous n'arriverez pas à résoudre.