Le caractère non renouvelable de la ressource en phosphates et les risques environnementaux d'apports excessifs imposent de mieux utiliser le phosphore du sol. Tout en garantissant une nutrition qui ne soit pas limitante pour les rendements des cultures. Or, actuellement, le conseil agronomique pour la fertilisation phosphatée manque de fiabilité (la biogéochimie du phosphore dans le sol est complexe), et il repose sur des bases encore empiriques et sécuritaires. Reste que la gestion de cet élément nutritif est moins travaillée que celle de l'azote, ses évolutions s'observant plus rapidement. Par ailleurs, les carences sont assez rares, après les fertilisations massives effectuées au XXe siècle. Il n'existe pas de réglementation contraignante, à l'inverse – là encore –, de l'azote, rendant moins urgent le changement des normes.
Le Comifer (Comité français d'étude et de développement de la fertilisation raisonnée) a bien mis en place en 2009 une nouvelle grille de calcul de dose PK. Elle aboutissait déjà à une réduction des préconisations d'apport de phosphates par rapport à la grille de 1995, notamment quand le sol est riche en phosphore. Mais d'autres travaux de recherche étaient nécessaires afin de mieux rendre compte de la réalité des besoins des plantes et de la biodisponibilité du phosphore dans le sol.
SEUIL D'IMPASSE
Le raisonnement de la fertilisation phosphatée est basé sur la détermination d'un seuil correspondant à un niveau d'offre du sol en dessous duquel le risque de perte de rendement devient inacceptable. Ce seuil dépend de l'exigence de la culture, du type de sol et de l'indicateur de biodisponibilité obtenu par analyse chimique.
« Le raisonnement du phosphore est rarement fait de façon rigoureuse, ce qui peut nuire aux cultures, estime Pascal Denoroy, ingénieur de recherche à l'Inra de Bordeaux. En effet, il n'est l'objet d'aucune contrainte réglementaire, et les carences phosphoriques ne sont pas observables directement, comme c'est le cas avec l'azote. Elles apparaissent progressivement, et après plusieurs années d'impasse, ce qui rend difficile la gestion du phosphore. Ainsi, il est indispensable de réaliser des analyses de terre tous les cinq à sept ans, pour suivre l'évolution de la teneur dans les sols. »
Un projet Casdar (1) de 2007 à 2011 (étude Rip : raisonnement innovant de la fertilisation phosphatée) a permis de définir un nouvel indicateur (E) de dynamique du phosphore dans le sol, afin de pouvoir proposer des doses adaptées. Les méthodes d'analyse chimique de terre actuelles (Joret-Hébert, Dyer ou Olsen) évaluent l'offre globale du sol en phosphore, mais des écarts importants existent entre elles. Le nouvel indicateur prend en compte les phosphates solubles (immédiatement disponibles) et diffusibles (pouvant être relargués par le sol et rapidement utilisables par la plante). Il est donc plus proche des mécanismes au champ. Plusieurs cultures ont été étudiées : maïs, céréales à paille, colza, betterave sucrière, carotte, haricot vert.
Le projet Rip confirme en partie les différences d'exigence en phosphore entre les cultures. Les besoins de l'orge mais surtout du colza restent élevés, c'est-à-dire que leur rendement baisse fortement en situation de carence. Le maïs grain et le blé tendre sont peu exigeants. « En revanche, la betterave réclamerait moins de phosphore que ce que l'on pensait, sauf en cas de mauvaise implantation. De même pour la carotte », explique Pascal Denoroy, qui a participé à l'étude. La betterave pourrait donc être repositionnée dans la grille de calcul du Comifer.
MARGES D'ERREUR RÉDUITES
Les recherches ont aussi montré qu'en grandes cultures, l'indicateur E est plus sûr que le P-Olsen, considéré aujourd'hui comme la meilleure référence. Les marges d'erreur seraient ainsi réduites et des économies pourraient être réalisées. Actuellement, la dose apportée est basée sur les exportations potentielles, mais ce n'est pas forcément la dose nécessaire pour remonter au seuil critique. « Avec le nouvel indicateur, il devrait être possible d'avoir des seuils d'impasse plus bas pour les cultures bien implantées permettant une utilisation plus importante des réserves du sol, estime Pascal Denoroy. En cas de mauvaise implantation, un apport supplémentaire serait à prévoir en localisé au semis pour un effet starter. » Toujours est-il que, pour l'instant, rien n'a changé sur le terrain. « La liaison entre l'indicateur et le conseil de dose n'est pas encore totalement validée par le Comifer », confirme Christine Le Souder, spécialiste de la fertilisation chez Arvalis. Il faut aussi acquérir un référentiel pour toutes les cultures et les types de sol, et développer les analyses en routine. « Cela prend du temps de faire passer de nouvelles idées, poursuit de son côté Pascal Denoroy. C'est pourtant nécessaire pour être bien compris sur le terrain. »