« Si la maturation est un facteur prépondérant pour la tendreté de la viande, la génétique intervient aussi, affirme Jean-François Hocquette, directeur de recherches à l'Inra. Tout animal qui vieillit et s'alourdit stocke du gras dans ses muscles, mais de façon plus ou moins tardive, selon sa race. » Chaque muscle est constitué de fibres blanches ou rouges, de gras et de collagène. « De la combinaison de tous ces facteurs dépend la qualité d'un morceau, poursuit-il. Plus les fibres sont petites, plus la viande est tendre. Plus le collagène est épais, plus la viande est dure. Plus il y a du gras entre les fibres, plus elle est facile à mâcher. Par rapport à celle des races allaitantes, la viande de laitières est parfois plus rouge, avec davantage de collagène et moins de fibres musculaires, mais quelque fois avec plus de gras, qui est favorable au goût. »
DISPARITÉS ENTRE RACES
Parce qu'elle développe d'abord sa musculature, la blanc bleu belge est l'une des viandes les plus maigres. La blonde d'Aquitaine est génétiquement plus maigre que la charolaise et la limousine, qui sont ellesmêmes plus maigres que l'angus. « L'idée selon laquelle la viande bovine est un aliment trop gras n'est pas vraie partout, reprend Jean-François Hocquette. Tout dépend des pays d'origine des races. L'angus et le boeuf de Kobé sont par exemple nettement plus gras que nos races allaitantes françaises. »
Travail en aval. Les observations de l'Inra mettent en évidence que les disparités de qualité des muscles sont visibles dès l'abattage. Le muscle subit un phénomène de rigidité cadavérique plus ou moins marqué selon l'animal. Ses caractéristiques ne sont pas le seul facteur influençant sa tendreté. La clé de voûte d'une bonne viande, d'une viande tendre, c'est la maturation. « Selon les études, la vitesse de maturation de la salers serait différente de celle du charolais, présente Jean-François Hocquette. La viande de prim'holstein serait plus dure à l'abattage. Mais si le temps de maturation est adapté, quel que soit le morceau, il y aura peu de différence de tendreté entre races. De la gestion post-mortem d'un muscle dépendra donc la tendreté de la viande. Mais le stockage pour la maturation dans les chambres froides coûte cher. »
HÉRITABILITÉ GÉNÉTIQUE
Depuis les années 2000, la génomique rebat les cartes de la recherche sur les muscles. Elle identifie les marqueurs génétiques témoins de la tendreté. Mais ce ne sont pas toujours les mêmes d'une race à l'autre.
Marqueurs. Selon l'Inra, la teneur en gras d'un muscle est liée pour moitié à la génétique. Le reste dépend de l'alimentation, des conditions d'élevage… Du côté de la tendreté, l'héritabilité est estimée à 25 %. « Voire moins pour la limousine, précise le directeur de recherches. Une fois de plus, chaque race répond différemment à un même marqueur génétique. Les gènes dans les cellules peuvent être plus ou moins exprimés, donc plus ou moins actifs. » Pour un même gène de deux animaux de race différente, une même protéine issue de ce gène peut agir autrement sur la tendreté de la viande.
Une carcasse, des muscles. La diversité passe aussi par la multitude de morceaux qui composent une carcasse. « Il existe davantage de différences entre les muscles d'un même animal qu'entre deux animaux de race différente, lance Jean- François Hocquette. Nous avons perdu cette notion de variabilité des viandes sur l'étalage du boucher. Un faux-filet n'est pas une bavette. Une fois encore, tout est une question de gène. Pour le même muscle, un gène différent s'exprime. C'est ce qui fait que, sur un même animal, un morceau est plus ou moins gras. »
NOTION DE PLAISIR
Puisqu'il existe des différences entre races sur le plan de l'engraissement et de la conformation, qu'en est-il du produit final ? qu'en pense le consommateur ? « Des analyses gustatives avec des consommateurs entraînés mettent en évidence des différences minimes, indique Jean-François Hocquette. Sur une échelle de 1 à 10, seul un point sépare les échantillons de viande notés comme étant le moins tendres de ceux qui sont jugés comme l'étant le plus. L'idée selon laquelle la viande de telle ou telle race bovine est meilleure serait donc entièrement subjective. Mais le consommateur apprécie de savoir à quelle race appartient le morceau qu'il déguste. »