Pains, pâtes, biscuits, semoule à couscous… Les céréales fournissent la base de nombreux produits de notre alimentation quotidienne. Riches en amidon mais aussi en fibres alimentaires et micronutriments, elles n'ont cessé de se diversifier pendant des millénaires : elles se sont enrichies et croisées en particulier grâce à la domestication par l'homme. Les échanges commerciaux, la sélection moderne et la multiplication des attentes, des usages et des pratiques agricoles ont contribué à accélérer les croisements et la biodiversité variétale. Par exemple, « les agriculteurs français cultivent aujourd'hui un éventail de plus de 400 variétés de blés tendres », chiffre le Gnis (Groupement national interprofessionnel des semences et plants).
Reste que la diversité génétique des blés tendres a subi une forte réduction au XXe siècle, en tout cas dans son utilisation, « ce qui ne veut pas dire qu'on n'a pas conservé un patrimoine important pour l'avenir », relativise Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint de l'Inra. Une étude de la FRB (Fondation pour la recherche sur la biodiversité), publiée en 2011, a mis en évidence une homogénéisation de la diversité génétique des blés cultivés sur la période 1912-2006.
SIMILARITÉ GÉNÉTIQUE
Trois périodes sont observées (voir infographie) : « De 1912 aux années 70, on constate une diminution drastique de la diversité intravariétale, traduisant un changement d'agriculture (avec le remplacement des variétés de pays et anciennes par les lignées homogènes génétiquement), la plus grande similarité génétique entre variétés en raison d'une faible création variétale, et la dominance dans le paysage de quelques variétés majoritaires », analyse Isabelle Goldringer, de l'Inra à Gifsur-Yvette (Essonne). Puis il y a une période courte où de nombreuses variétés sont développées (Arminda, Talent, Fidel, Camp Rémy…) à partir de ressources génétiques plus variées renouvelant ainsi le pool utilisé par les obtenteurs.
Toutefois dès la fin des années 80, si le nombre de variétés cultivées augmente (l'innovation variétale continue), la diversité, elle, se stabilise puis tend à diminuer. « Mais si vous regardez le type de variétés, cela n'a plus rien à voir avec le début des années 70 où 70 à 80 % des blés utilisés en France étaient des blés fourragers, souligne Christian Huyghe. Aujourd'hui, 70 à 80 % des variétés sont des BPS ou des BPS supérieurs. Cela veut dire que tout en maintenant la diversité, on a réussi à changer le type de blé. Ainsi les variétés qu'on peut cultiver ne sont qu'une toute petite partie de la diversité que l'on peut exploiter en sélection. » Le catalogue français où sont inscrites les variétés est « un moteur pour inscrire des variétés différentes, comme on le voit après les années 70, mais ça ne se traduit pas par une augmentation de la diversité génétique réelle dans les paysages, souligne Isabelle Goldringer. Il y a une proposition en discussion (à l'échelle européenne, ndlr) qui permettrait de commercialiser des variétés populations : on pourrait redévelopper le compartiment intravariétal perdu au cours du xxe siècle. Ce serait une piste pour rediversifier dans les champs. »
Il n'empêche : les recherches sur l'amélioration variétale des céréales, notamment du blé tendre, sont toujours très actives. Elles visent à sélectionner des variétés productives, résistantes aux stress et avec une bonne qualité technologique. Le tout en utilisant moins d'intrants. Les industriels ont des exigences de plus en plus précises et de plus en plus diversifiées. Car de nouveaux débouchés s'ouvrent, à la demande des consommateurs. C'est le cas des buns, petits pains servant à la fabrication des hamburgers dans les fast-foods et à la maison. Leur fabrication demande des variétés qui produisent une pâte à rhéologie particulière, donnant un aspect lisse au bun. Les blés de force sont bien adaptés à ce débouché, de même qu'aux pains précuits, de plus en plus plébiscités par les clients.
Mais « les recherches sur les blés de force coûtent cher et le débouché est encore limité, explique Olivier Leblanc, responsable développement chez Sem-Partners. Ainsi le blé de force Courtot, qui existe depuis plus de trente ans, a du mal à être remplacé. » Les sélectionneurs vont surtout chercher dans les ressources variétales à l'étranger comme en République tchèque, Italie… Il existe aussi une demande pour des pains complets apportant des fibres, mais sans amertume. Ce qui nécessite des variétés à grains blancs. Mais celles disponibles actuellement présentent une forte germination sur pied. Les recherches s'orientent donc vers la sélection de variétés à grains blancs sans ce critère défavorable. Il existe par ailleurs différentes filières de fabrication de pains. Ainsi, les baguettes industrielles requierent des variétés produisant une pâte non collante, de bonne ténacité. Pour le débouché artisanal, il faut des variétés qui donnent une pâte plus extensible.
La composition en micronutriments minéraux et la teneur en fibres du blé et des farines sont aussi des cibles intéressantes pour les sélectionneurs. L'objectif est de répondre non seulement aux attentes des consommateurs mais aussi aux politiques de santé publique : le gouvernement entend en effet améliorer l'offre nutritionnelle des aliments pour lutter contre l'obésité. Et, pour ce faire, d'augmenter la teneur en fibre de ce que nous mangeons. Le pôle de compétitivité Céréales vallée, issu du partenariat entre Limagrain et l'Inra, s'est engouffré dans la brèche et entend développer des produits céréaliers « nutritionnellement supérieurs » issus de nouvelles variétés. « Nous partons du besoin des consommateurs pour créer de nouveaux produits, explique Grégoire Berthe, directeur de Céréales vallée. Mais il faut avoir dès le grain quelque chose en adéquation avec ce produit. Nous étudions comment faire évoluer les systèmes actuels pour être plus nutritionnel, plus facile à consommer. »
Le projet Nutripan qui devrait aboutir cet été entre dans ce cadre-là : il a pour objectif de « développer le premier pain nutritionnellement supérieur de consommation courante qui concilie les qualités organoleptiques du pain traditionnel français et les qualités nutritionnelles des pains spéciaux (fibres, vitamines, minéraux) ». Cette innovation s'appuie notamment sur la préservation des constituants bénéfiques du grain de blé (choix des meilleures variétés de blé, conditions optimales de culture, de procédés de mouture et de panification). « Pour cela, on utilise la variabilité génétique existant entre les différentes céréales pour voir dans lesquelles se retrouve un plus nutritionnel », développe Grégoire Berthe. Autre débouché en vogue actuellement : les farines sans gluten. C'est lié à un effet de mode mais aussi à l'augmentation des maladies coeliaques qui rendent allergiques au gluten. Cela demande des variétés sans gluten. « Les marqueurs moléculaires et la génomique aident beaucoup à sélectionner ce type de variétés spécifiques », souligne Olivier Leblanc.