« Tant que la loi considérera les animaux comme des meubles, les animaux souffriront. » Fin septembre, une pétition de la fondation 30 millions d'amis demande au législateur de créer une place à part pour les animaux dans le code civil. Ce code distingue, d'un côté, les personnes et, de l'autre, les choses, « les biens meubles et immeubles » qu'elles possèdent. Dont les animaux, comparés dans la fameuse pétition à une simple chaise. Par ce raccourci aussi simpliste que médiatiquement efficace, le débat sur le statut de l'animal en France est relancé. Cette pétition, signée par 24 personnalités (Eric Orsenna, Luc Ferry, Elisabeth de Fontenay, Hubert Reeves...), a déjà récolté plus de 490 000 signatures d'« amis ». Pour l'essentiel, le message tient dans cette observation : les recherches scientifiques montrent de plus en plus fréquemment que l'animal a des comportements qui se rapprochent de ceux de l'homme. Il est sensible, capable de souffrances et d'émotions. Il ne peut donc se confondre avec un meuble pris au sens littéral du terme. Il mérite au moins un statut en dehors de celui des biens dans le code civil. Des droits devraient être accordés aux animaux : le droit au bien-être, au respect, celui de ne pas être traité comme un moyen pour les fins d'un autre. Pour défendre ses intérêts, l'animal pourrait compter sur son propriétaire ou sur les associations de défense des animaux.
DÉBAT RÉCURRENT
Ce débat sur l'attribution d'un statut spécifique à l'animal revient régulièrement sur le devant de la scène, avant d'échouer : en 2008, à l'issue des rencontres « animal et société » organisées par Michel Barnier, à l'époque ministre de l'Agriculture, l'avis général rejetait la demande en concluant que « la modification du régime juridique des animaux n'apparaît ni possible ni nécessaire ni anodine ». Alain Bougrain-Dubourg, président de la ligue de protection des oiseaux, reviendra à la charge en tentant d'émettre un projet d'avis au conseil économique, social et environnemental (CESE) en 2011. Les débats, à peine commencés, seront interrompus « sous la pression des lobbies de l'agriculture, la chasse et de l'agroalimentaire », selon la LPO. Un projet de loi déposé au Sénat en octobre 2013 par le sénateur Povinelli (PS) est pour l'instant resté lettre morte. Mais une autre proposition « originale » devrait voir le jour à l'issue du colloque organisé par Ecolo-Ethik, club de réflexion créé par la sénatrice Chantal Jouanno (UDI-UC). Il a lieu ce vendredi 7 février au Sénat.
Pourtant, les opposants à cette construction juridique de fiction ne manquent pas tant chez les juristes que dans les milieux de l'élevage : « Il n'est pas nécessaire de reconnaître des droits aux animaux pour reconnaître que l'homme a des devoirs à leur égard, souligne Renaud Denoix de Saint-Marc, membre du conseil constitutionnel, juriste éminent régulièrement entendu à ce sujet par les autorités. Les mauvais traitements aux animaux sont déjà réprimés. Et comment attacher des droits mal définis sans contrepartie d'obligations ? En droit, il n'existe personne qui ne réponde de ses actes. Enfin, le droit à ne pas être traité comme un moyen pour les fins d'un autre est impossible à observer : l'agneau sera toujours pour le loup un moyen d'assouvir sa faim. »
EVOLUTIONS DU DROIT
Pour les organisations agricoles, il n'est pas question de lâcher quoi que ce soit sur ce dossier en l'état actuel des débats. Du côté de la FNSEA comme de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale, on rappelle volontiers que le droit français a évolué depuis longtemps à travers le code rural, le code pénal, le code de l'environnement et la réglementation européenne. Bernard Esnault, en charge de ce dossier à la FNSEA, poursuit : « Le code civil traite, d'un côté, les humains et, de l'autre, les choses. Logiquement, l'animal est rattaché aux choses (article 528 du code civil). Ensuite, cette définition est complétée par le code rural, qui définit les animaux comme êtres sensibles depuis 1976 (lire l'encadré ci-contre). L'homme a un devoir de bientraitance envers les animaux. Et le code pénal règle les cas de maltraitance. »
Si le code civil bouge, cela remettra en cause la propriété des éleveurs, voire la légitimité de certains élevages. Stéphane Devillers, juriste à l'UNCEIA (1), ajoute : « Toutes les lois françaises ont la même valeur, qu'elles figurent dans le code rural, le code pénal ou le code civil. Les tribunaux relèvent déjà quinze infractions possibles contre les animaux, dont quatre délits. Il faudrait un consensus puissant pour modifier le code civil. D'autant que les détenteurs d'animaux de compagnie, au même titre que les animaux d'élevage, seront concernés. » Il y a 61,6 millions d'animaux domestiques en France, soit un animal présent dans un foyer sur deux. Si on exclut les poissons rouges, viennent en tête les chats (10,7 millions et 27 % des foyers) et les chiens (8 millions et 25 % des foyers).
AUTOUT DE LA DOULEUR
Au-delà du débat juridique s'en profilent très vite d'autres, plus philosophiques. Le débat sur la place de l'animal existait déjà dans l'antiquité. Au Moyen-âge, les animaux, dotés d'une personnalité juridique, étaient traduits devant les tribunaux. En 1637, le philosophe Descartes théorise sur l'animal-machine, incapable de ressentir de la douleur car non doué de raison. Une théorie contestée dès son origine. La demande de droits propres aux animaux prend racine en Angleterre, au XIXe siècle. Des sociétés protectrices des animaux se créent face au spectacle de l'abattage en public ou encore les combats entre animaux. Il s'agit d'éduquer le peuple et de lutter contre ses bas instincts.
A la fin du XIXe siècle, la France est gagnée par ces préoccupations. Si les animaux n'ont pas de droit en tant que tels, la législation va progressivement imposer des devoirs aux hommes envers les animaux. En 1850, le député Grammont fait adopter la première loi qui réprime les mauvais traitements aux animaux en public. En 1963, une nouvelle loi condamne les mauvais traitements infligés sans nécessité aux animaux domestiques ou sauvages apprivoisés. En 1976, apparaît la loi qui fonde les décisions prises de nos jours : le code rural déclare que l'animal est un être sensible, qui a le droit de ne pas souffrir inutilement, de ne pas être mis à mort sans nécessité et de ne pas être utilisé abusivement. Seule dérogation d'ordre culturel accordée encore aujourd'hui : la corrida.
ACTIONS COUP DE POING
Aujourd'hui, par médias interposés ou à la suite d'actions coup de poing de ligues de protection des animaux, les débats philosophiques et scientifiques se multiplient autour de la douleur animale. Pour les chercheurs comme pour les associations de défense des animaux, il s'agit de se recentrer sur ce que ressent l'animal à la lumière de la progression de la connaissance scientifique et non de se limiter à ce que tolère l'homme. D'un défenseur de la cause animale à l'autre, les positions sont très diverses : les uns prônent des mesures pour améliorer leur bien-être sans remettre en cause les fondements de l'exploitation animale. A l'autre extrême, les abolitionnistes veulent mettre fin à toute utilisation des animaux et prônent le végétalisme intégral, c'est-à-dire la non-consommation de tout aliment issu des animaux.
Entre les deux se développent des chapelles suivant la barrière que chacun veut dresser entre l'homme et l'animal. Pour certains, cette barrière est infranchissable, pour d'autres, donner un statut aux animaux relève du même combat que la fin de l'esclavage, du sexisme ou du racisme. D'autres enfin estiment que certains animaux (les grands singes) devraient avoir les mêmes droits que l'homme ou que les hommes avec de lourds handicaps mentaux sont plus dépourvus de conscience que les animaux les plus évolués. Ces positions extrêmement dérangeantes semblent encore minoritaires. En revanche, la remise en cause de la corrida, du gavage des oies et de l'élevage industriel est commune à tous.
DÉVIANCE MORALE
Selon Jean-Michel Serre, éleveur et président de la Fédération nationale porcine, donner un statut à l'animal est aberrant : « Ce serait un péril économique : ce raisonnement ignore les réalités techniques et réglementaires du métier. Sans parler des réalités économiques qui retardent parfois l'adoption nécessaire des nouvelles normes. Nous avons déjà réalisé des mises aux normes coûteuses dans nos élevages, ce que l'on refuse de nous reconnaître. Nos efforts sont ignorés. Les éleveurs doivent travailler correctement. Il y a des conditions de logement, de température, de stress très précises à respecter. Il y a régulièrement des portes ouvertes dans les exploitations. L'élevage en plein air de truies tellement mis en avant à propos du bien-être animal est en train de disparaître. Nous sommes victimes du manque de connaissance de notre réalité rurale. Les Anglais se sont soumis aux demandes de la société. Ils n'assurent plus que 40 % de leur approvisionnement. Est-ce un progrès pour leurs consommateurs ? Il y a beaucoup de sensiblerie et d'anthropomorphisme (attribution de caractéristiques du comportement humain à des animaux) dans les réactions des citadins. Derrière cette demande de réformer le code civil, il y a aussi les extrémistes de la cause animale. Certains veulent supprimer la distinction entre homme et animal. Ce serait une déviance morale. Heureusement, le législateur a une approche raisonnable et rationnelle de la réalité des élevages. »
Le ministre de l'Agriculture ne semble pas vouloir toucher aux lois existantes. Selon un de ses conseillers, « le cadre juridique actuel est suffisant et permet d'agir en cas de maltraitance sur les animaux ». L'histoire de ce jeune Marseillais condamné à un an de prison cette semaine pour avoir torturé un chat lui donne tristement raison.
CONTRADICTIONS SOCIÉTALES
Aucun statut ne garantira les animaux contre la souffrance. Si la société réclame à 90 % ce statut, elle demande aussi de la viande à des prix acceptables. Malgré le discours anti-viande, la consommation de protéines animales progresse dans le monde. « Pourquoi les ligues de défense des animaux défendraient une grande cause tandis que les éleveurs ne défendraient que leurs intérêts, s'étonne Stéphane Devillers. Le consommateur a la main pour faire changer les pratiques d'élevage si nécessaire. Mais si le but est de ne plus abattre ni consommer d'animaux, il faut le dire clairement. » Enfin, doit-on rappeller que l'élevage, c'est de l'emploi, de l'humus, le maintien de paysages ouverts et des territoires vivants ? Les consommateurs demandent à voir davantage les animaux. Les portes ouvertes sont une première réponse. Si les images ne sont pas manipulées.
(1) Union nationale des coopératives agricoles d'élevage et d'insémination animale.