Ce serait peu et beaucoup à la fois. La température moyenne du globe a augmenté de 0,6 °C au cours du XXe siècle, selon l'OMM (Organisation météorologique mondiale). Une hausse modeste mais hautement significative, rapportée aux siècles et millénaires passés. On pourrait se réfugier derrière les récents hivers rigoureux en Amérique et Europe du Nord pour réfuter l'idée d'un réchauffement global. Mais les experts expliquent ces vagues de froid par le réchauffement de l'Arctique, qui chamboulerait certains paramètres météorologiques. En outre, l'élévation du niveau des océans corrobore l'idée d'une fonte des glaciers et de la banquise. Cette élévation, mesurée par satellite, serait de 3,2 mm/an sur 2001-2010, soit deux fois plus que la tendance observée sur le siècle précédent. Quant aux extrêmes climatiques, les douze premières années du XXIe siècle sont cohérentes avec les projections, avec des vagues de chaleur exceptionnelles en Europe occidentale (2003) et Russie (2010), l'ouragan le plus dévastateur de l'histoire (Katrina en 2005) et des inondations majeures en Asie...
Il n'est cependant pas question de catastrophisme. Certains s'autorisent même à penser que le réchauffement climatique combiné à l'effet fertilisant du CO2 pourrait avoir un impact favorable sur la production agricole de certaines zones du globe (voir la carte). Les pays du Nord ne bouderaient pas quelques degrés supplémentaires, même s'il faut garder à l'esprit que les adventices et ravageurs en profitent également. « Les agriculteurs groenlandais se montrent assez curieux d'un changement climatique qui apporterait une hausse des températures », témoigne Valérie Masson-Delmotte, coordinatrice du projet Greenland qui étudie le climat au Groenland, avec un focus sur l'agriculture. Sur cette île, où le secteur agricole se résume surtout à l'élevage ovin, le changement se fait déjà sentir. « Le recul de la banquise est spectaculaire et on détecte une progression de la couverture végétale en trente ans grâce aux images satellites. »
Mais les nouvelles ne sont pas toutes bonnes. « Les éleveurs décrivent certes des aspects positifs, moins de jours de gel et une période de pousse de l'herbe plus longue, mais surtout des conditions sèches qui pénalisent la production », rapporte la scientifique. Un constat général : où que ce soit, les effets positifs du changement climatique risquent, à plus ou moins long terme, d'être annulés par ses effets négatifs. Au premier plan : la sécheresse.
UN FLÉAU MONDIAL TRAITÉ À LA MANIÈRE DE CHACUN
Rencontré à Genève, après une réunion internationale sur ce sujet, José Camacho, de l'OMM (lire page 8), nous avait prévenu : « La sécheresse n'épargne aucun pays. » A l'avenir, on s'attend à une augmentation en fréquence, en intensité et en durée. Ces dernières années ont déjà été riches en « sécheresses historiques » : en Nouvelle-Zélande début 2013, aux Etats-Unis en 2012, dans la corne de l'Afrique en 2011, en Russie en 2010, en Australie de 1997 à 2009, pour ne pas citer l'Inde et le Mexique...
Le fléau est mondial et chacun le traite à sa manière. La Chine voit grand pour faire venir de l'eau dans les régions arides (lire l'encadré ci-contre), tandis qu'Israël cherche à être à la pointe sur tous les fronts : irrigation par goutte-à-goutte, recyclage de près de 70 % des eaux, construction d'usines de desalinisation, sélection génétique et expérimentation d'irrigation à l'eau saumâtre en maraîchage. Mais peu de pays ont articulé leurs efforts autour d'une réelle politique nationale. Dans ce domaine, l'Australie semble avoir un peu d'avance, analyse José Camacho.
Depuis son bureau de Sydney, Mark Howden, directeur de recherches sur l'adaptation au climat au CSIRO (Agence gouvernementale australienne pour la recherche scientifique), nous le confirme : « Cette politique remonte à 1990, quand le gouvernement fédéral et les Etats ont reconsidéré la sécheresse non pas comme une catastrophe naturelle mais comme faisant partie de l'environnement de travail normal des agriculteurs australiens : quelque chose à gérer comme un élément de leur entreprise. » La sécheresse qui a duré de 1997 à 2009 l'a confirmé. « On l'a appelée la sécheresse du millénaire, se rappelle l'expert. Elle a significativement réduit la productivité agricole dans le sud de l'Australie, inversant une tendance jusque-là à la hausse. L'impact économique a été estimé de 1 à 1,6 % du PIB. » Si la sécheresse est « normale », le stockage de l'eau l'est aussi : « L'Australie est le pays où la quantité d'eau stockée dans des barrages, rapportée au débit annuel moyen des fleuves, est la plus élevée, affirme Mark Howden. Les faibles disponibilités en eau, les prix élevés et le souci de l'environnement font que le recyclage de l'eau et la recherche de l'efficience maximale vont de soi pour les agriculteurs comme les industriels et les particuliers. Les assurances liées aux risques climatiques ne sont pas généralisées. En revanche, des recherches sur une agriculture plus efficiente en eau, via l'adoption de nouvelles cultures et de nouvelles pratiques – non-labour, gestion du couvert végétal, etc. – ont démontré de réels bénéfices en termes de rendement par mm de pluie. » Des stratégies qui font aussi leurs preuves aux Etats-Unis (lire l'encadré page 37).
Alors que certains se lancent à coûts perdus dans une lutte contre le désert (lire l'encadré ci-dessous), l'excès d'eau est la préoccupation numéro un de certains pays. Soit que les conditions trop humides favorisent le développement de maladies et ravageurs – on leur a imputé la ruine des dernières récoltes de café en Colombie –, soit que des pluies torrentielles ou l'élévation du niveau de l'océan causent des inondations, érosions et coulées de boues. Dans les îles du Pacifique, les centres météorologiques notent ainsi un réchauffement significatif mais aussi des extrêmes plus fréquents (inondations, pluies intenses, tempêtes, vents violents, sécheresses) et une élévation du niveau de la mer. Tous ces événements seraient appelés à s'intensifier. « Dans beaucoup d'îles à basse latitude, les cultures sont déjà proches de leur tolérance maximum à la chaleur, ajoute Beau Damen, du bureau régional de la FAO. En conséquence, un réchauffement et des changements de précipitations même minimes pourraient causer des diminutions substantielles de rendements. » Déjà, « les populations locales rapportent davantage d'intrusions d'eau de mer salée, une modification des cycles saisonniers et des sécheresses, incendies et coulées de boue plus fréquents », nous indique encore la FAO. Laquelle dressait, dans un rapport de 2008, une liste assez déprimante des effets attendus sur l'agriculture du Pacifique : stress hydrique, expansion des ravageurs, maladies et adventices, érosion, perte de fertilité des sols... Sur les îles de petite taille situées parfois quelques mètres à peine au-dessus du niveau de la mer, la surface de terres arables pourrait ainsi se transformer en peau de chagrin.
DIVERSIFICATION ET INTENSIFICATION DURABLE
Même combat au Bangladesh, dont les deux tiers du territoire se trouvent à moins de 5 m au-dessus du niveau de la mer. Les inondations causeraient la perte d'au moins un million de tonnes de riz par an, selon les experts de la banque mondiale. Sur une surface inférieure à un tiers de la France, le pays doit faire face à tous les extrêmes : inondations, sécheresses intenses en passant par les tempêtes. Il pourrait voir ses rendements céréaliers baisser encore de 30 % sous le changement climatique, selon les projections de la banque mondiale. De l'utilisation de variétés nouvelles à la culture sur potager flottant, tous les moyens sont bons pour faire face (lire l'encadré page 40).
De plus en plus de pays risquent de devoir faire le grand écart en passant d'un extrême à l'autre. A Sydney, Mark Howden s'en amuse presque : « A la sécheresse du millénaire ont succédé les deux années les plus humides jamais enregistrées ! » Face à l'incertitude, les experts prônent des stratégies d'adaptation dites « sans regret » : celles qui seront gagnantes quel que soit le scénario climatique. Elles tournent autour de la diversification (pour répartir les risques) et de l'intensification durable. C'est ainsi que, bien loin de l'Irak et de ses pétrodollars, l'agroforesterie donne des résultats surprenants au Sahel. La forêt sous toutes ses formes pourrait d'ailleurs regagner ses lettres de noblesse : les mangroves pour préserver les îles du Pacifique de l'érosion côtière, la forêt amazonienne pour réguler les pluies au-dessus du continent...
Le développement de nouvelles variétés est un autre levier. Certaines, tolérantes à la sécheresse, à la salinité ou aux inondations, sont déjà disponibles (lire l'encadré page 40). D'autres encore dans les cartons, comme les blés, cotons et pois chiches sur lesquels travaille le Dr Daniel Tan, de l'université de Sydney. Il nous promet « des rendements supérieurs de 20 à 100 % par rapport aux variétés classiques, suivant la sévérité des vagues de chaleur ». Mais un autre déficonsiste, dans le même temps, à préserver la biodiversité menacée par le changement climatique. C'est ce qu'explique Cary Fowler, conseiller spécial et ancien directeur exécutif du Global Crop Diversity Trust (GCDT), une organisation internationale veillant sur le patrimoine génétique végétal de la planète. Le GCDT, qui gère notamment la réserve mondiale de semences de Svalbard, en Norvège, « a déjà collaboré avec plusieurs pays pour sauver 75 000 variétés de l'extinction », souligne Cary Fowler.
PRÉSERVER LA BIODIVERSITÉ
Est-il pertinent de sauver des variétés qui ne seront de toutes façons plus productives sous le climat futur ? « Oui, tranche-t-il. Une variété peut être improductive à cause d'un seul caractère défaillant mais posséder par ailleurs beaucoup de caractères intéressants. Il y a des exemples innombrables de variétés « médiocres » utilisées dans des programmes de sélection qui ont contribué à introduire des traits incroyablement précieux dans de nouvelles variétés. Typiquement, les sélectionneurs travaillent avec les variétés contemporaines auxquelles ils ajoutent des caractères trouvés ailleurs, par exemple dans des variétés anciennes conservées dans les banques de semences. »
La même prudence s'impose en sélection animale : la recherche de la performance ne doit pas conduire à perdre les caractères génétiques plus rustiques, qui peuvent être avantageux dans un contexte d'émergence de nouvelles maladies (lire l'interview ce-dessous). Sans aucun doute, il faudra innover pour relever les défis futurs. Mais qu'il s'agisse de ressources génétiques ou de techniques ancestrales à remettre au goût du jour, un certain nombre de ressources se trouvent finalement... dans le passé.